GATTACA (1997)
Andrew Niccol
Par Jean-François Vandeuren
En 1997 et 1998, le cinéaste néo-zélandais Andrew
Niccol devint l’une des figures les plus prometteuses du cinéma
américain. Ce dernier signa d’une part l’écriture
et la réalisation d’un des drames de science-fiction les
plus raffinés de la décennie, ainsi que le scénario
du sublime The Truman Show de Peter Weir. Ensuite, plus rien
avant 2002 où Niccol revint dans une forme fort discutable avec
le décevant S1m0ne. Film dans lequel il dissipa d’autant
plus son remarquable méthodisme au profit d’un fourre-tout
d’idées pas nécessairement sans intérêt,
mais néanmoins exploitées de façon souvent maladroite.
Dans les trois cas, Niccol s’intéresse de près ou
de loin à cette notion de perfection qui hante et ravage l’esprit
humain. Un idéal que les personnages principaux qu’il met
en scène tentent de renverser ou du moins, d’en exploiter
les failles pour se sortir d’impasse. Gattaca contribua
à donner le ton à cette vague de films futuristes s’alimentant
d’un fort penchant rétro dont allaient s’inspirer
plus tard Alex Proyas et Josef Rusnak pour aborder des thèmes
toutefois fort différents.
Dans Gattaca, le progrès scientifique permet maintenant
à l’homme de jouer à Dieu et de combattre l’imperfection.
Grâce à la génétique, on peut vous donner
une espérance de vie de plus de cent ans, une intelligence de
surdoué et une apparence de top modèle. Mais lorsque les
futurs parents choisissent de faire confiance à mère nature,
les choses peuvent prendre une toute autre tournure. Pour réaliser
son rêve de devenir astronaute, Vincent, un individu non génétiquement
modifié à qui l’on ne prédisait pas plus
de trente ans d’espérance de vie, s’infiltre incognito
à Gattaca, une institue régissant l’exploration
spatiale. Si un seul de vos cils peut désormais vous trahir,
le plan de Vincent tournera à la catastrophe le jour où
il sera suspecté du meurtre d’un des hauts dirigeants de
Gattaca. Il fera alors tout pour cacher sa réelle identité
et continuer de se faire passer pour Jérôme, un homme destiné
au plus brillant avenir qui perdit malencontreusement l’usage
de ses jambes.
Ce qui distingue Gattaca des autres films de science-fiction
dépeignant un futur des plus inquiétants est justement
son absence totale de chaos. À première vue, le portrait
de cette société que dresse Andrew Niccol n’est
pas particulièrement alarmant et semble même optimiste.
C’est du moins le cas d’un point de vue extérieur.
Gattaca célèbre le triomphe de la science en
terme de progrès écologiques (la voiture électrique
et l’utilisation abondante de l’énergie solaire)
et d’exploration spatiale. La phénoménale direction
photo de Slawomir Idziak agrémente d’autant plus la carte
postale de ce monde on ne peut plus organisé et paisible d’une
prédominance de teintes vertes et bleutées pour accentuer
ce sentiment d’accalmie. Pour sa part, Niccol renoue avec le classicisme
hollywoodien des années 50 en garnissant son effort de costumes
haute couture et de décors évoquant le passé tout
en étant au dernier cri en matière de design. La facture
visuelle de Niccol se compose aussi d’une échelle de plans
d’une finesse irréprochable, laquelle est parfaitement
agrémentée de quelques élans de caméra à
l’épaule venant ajouter la touche de modernisme et le souffle
de vie nécessaire à la réussite d’une telle
prémisse.
Le réalisateur y va également d’une superbe économie
de moyens en confinant son récit dans un ensemble de lieux particulièrement
restreint plutôt que de mettre en valeur l’ensemble de la
cité où se déroule son film. Cette retenue et cette
minutie servent évidemment à ériger un formidable
mur d’apparences dont l’objectif est de dissimuler les rouages
d’un système foncièrement fasciste. Le cinéaste
néo-zélandais récupère d’ailleurs
plusieurs idéaux politiques issus de régimes totalitaires,
principalement le nazisme, qu’il repositionne dans un contexte
propice à la formation d’un débat quant à
leur existence et leur formulation dans une société contemporaine,
en particulier en ce qui a trait à cette éternelle quête
de perfection dont le but ultime se veut dans ce cas-ci la création
d’une race supérieure. Cette entreprise est évidemment
la source d’arrogance, mais aussi de déceptions, car même
l’être humain le plus doué ne sera jamais à
l’abris de l’échec ou d’une seconde place,
voire tout simplement du destin.
Andrew Niccol signe avec Gattaca une œuvre de science-fiction
dont l’intelligence n’a d’égal que son raffinement
exceptionnel sur le plan esthétique et narratif. L’utilisation
fort habile et jamais abusive de la narration en voix off a ainsi autant
de grâce que la démarche visuelle du cinéaste néo-zélandais.
L’ensemble est également appuyé par un casting époustouflant
qui permit à Ethan Hawke et Jude Law de faire leurs preuves aux
côtés d’une Uma Thurman resplendissante. Pour une
première œuvre, Niccol s’impose comme un cinéaste
visionnaire dont le souci du détail ne devient fort heureusement
jamais étouffant. Le film d’Andrew Niccol a d’autant
plus le mérite de concentrer ses énergies avant tout sur
l'élaboration de son discours (basé en grande partie sur
le Brave New World d’Aldous Huxley) plutôt que
son emballage épuré de toute forme d’artifice qui
s’avère tout de même d'une beauté hallucinante.
Version française :
Bienvenue à Gattaca
Scénario :
Andrew Niccol
Distribution :
Ethan Hawke, Uma Thurman, Jude Law, Gore Vidal
Durée :
101 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
16 Octobre 2006