FUNNY PEOPLE (2009)
Judd Apatow
Par Laurence H. Collin
Suivant son visionnement, il serait tentant de soutirer un grand nombre
de points au troisième et plus récent film signé
Judd Apatow pour un immense problème structural en particulier,
c’est-à-dire cet interminable troisième acte (sur
quatre) faisant intervenir une intrigue périphérique au
récit et l’étirant à une longueur démesurément
arbitraire. Ce n’est pourtant pas ici que le bât blesse
: non, ce serait plutôt dans le refus catégorique de son
scénariste et réalisateur de restreindre ne serait-ce
qu’une petite quantité de l’amour colossal qu’il
ressent et profère abondamment. Cet amour pour ses personnages
et les situations dans lesquelles ceux-ci se retrouvent; cet amour pour
sa propre femme et ses enfants; cet amour pour pratiquement quiconque
a eu la chance de collaborer avec lui durant sa carrière. Il
s’agit de cet amour tout à fait sincère et carrément
vertigineux qui fait passer Funny People près du naufrage
d’un point de vue filmique, et qui pourrait facilement confiner
l’oeuvre entière dans une boîte étampée
‘‘narcissique’’ aux yeux des spectateurs les
moins persévérants - non que ce qualificatif n’ait
une connotation péjorative envers ceux-ci. Chose certaine, d’autres
se retrouveront (et fort probablement en moins grand nombre) parfaitement
désarmés devant telle philanthropie, pratiquement forcés
à encenser la générosité d’esprit
monumentale qui découle du projet de tous bords, tous côtés.
Choisissez votre camp.
Funny People est donc centré sur l’histoire de
George Simmons (Adam Sandler), humoriste méprisant au sommet
de sa gloire, mais sans ami véritable. Délaissant de temps
en temps les planches du stand-up comique pour devenir tête
d’affiche de comédies américaines stupides comme
on les connaît, celui-ci cherche toujours un sens à sa
vie. Lorsqu’on lui annoncera qu’il souffre d’une grave
maladie et que ses jours sont probablement comptés, il enclenchera
un processus de réévaluation de lui-même, allant
même jusqu’à engager Ira, jeune humoriste prometteur
(Seth Rogen), pour écrire ses textes et devenir son assistant
personnel. Pendant longtemps, George baignera dans l’abattement
le plus profond, projetant de façon intermittente toute sa fureur
sur son pauvre confident, mais le gardant aussi près de lui que
possible. Leur rapport amical lui rappellera d’ailleurs les débuts
de sa carrière, bien avant que la célébrité
et la fortune ne lui aient dérobé son humanité
- cette époque où il fréquentait Laura (Leslie
Mann), qui s’est depuis remariée et est devenue mère
de deux enfants. Utilisant d’abord sa condition médicale
comme façon de se rapprocher de son ex-copine, George se verra
ultimement confronté au scepticisme du nouveau mari de celle-ci,
l’Australien Clark (Eric Bana), et avec l’éventualité
d’une guérison s’approchant de plus en plus, il devra
prouver qu’il est un homme changé pour de bon.
Avant même de procéder au compte des excès dont
est responsable ce prolixe Funny People, il serait tout de
même notable de l’approcher comme aboutissement d’une
trilogie ostentatoire sur une masculinité nez-à-nez avec
ses propres appréhensions : la sexualité dans The
40 Year Old Virgin, la question de la paternité et la responsabilité
dans Knocked Up, et ici l’approche de la mort et la possibilité
de rédemption. Traitant de thématiques plus amples à
travers le parcours intérieur de ses nombreux personnages, Apatow
semble d’abord s’intéresser à un mécanisme
employé abondamment dans ses oeuvres précédentes,
mais jamais exploré en long et en large auparavant : l’humour.
Bien au-delà du constat que le rire endosse facilement la pesanteur
d’une vie emplie de tristesse (sans la dissoudre, bien évidemment),
son scénario étudie cette façade que les blagueurs
s’édifient par eux-mêmes. Pourquoi est-ce qu’un
humoriste voudrait faire rigoler un public pour lequel il n’a
pas très haute estime? Quelle est sa volonté de poursuivre
dans son métier s’il croît lui-même que seuls
les gamins et les imbéciles sont en mesure d’apprécier
ses films? Le texte de l'oeuvre suggère donc peu à peu
la nécessité d’une renonciation à la blague
comme solution miracle. Alors que George prendra un répit des
spectacles d’humour en vue d’une réconciliation avec
la seule femme qu’il a véritablement aimée, la cadence
humoristique de l’ensemble diminuera, et ce, intentionnellement.
C’est une fois que sa médication semblera obtenir la main
forte dans son combat contre la maladie que George en viendra à
réaliser que le malheur de son existence provient en fait de
l’absence de réelle proximité dans ses rapports
humains, malgré toute l’attention qui lui est prêtée.
Le constat que tire Apatow de cet éclaircissement est d’autant
plus intéressant puisqu’il s’éloigne considérablement
du modèle de quête personnelle que l’on attribue
généralement aux antihéros de la comédie.
Comme Ira et Laura peuvent l’observer, avec un désarroi
variable, le passage près de la mort qu’a vécu George
ne l’a pas délivré de sa nature égocentrique,
bien au contraire. Cette déviation d’un idéal de
repentance coutumier est plus véridique, plus riche et plus douloureuse
dans les mains de son réalisateur. Soutenue par l’authenticité
du jeu d’Adam Sandler, qui vient soutirer cette énergie
colérique subconsciente à ses rôles habituels pour
ensuite l’explorer longuement, la part significative qu’est
George Simmons dans Funny People est, certes, la plus efficace
du lot. Il est donc dommage de ne pas pouvoir en dire autant de tous
les autres éléments de l’ensemble, à commencer
par l’univers du personnage d’Ira, celui-ci habitant en
colocation avec deux jeunes hommes (dont l’un étant également
humoriste) visant eux aussi la célébrité. Bien
que propices à plusieurs gags réussis et campés
avec tout le timing comique que l’on attribue à
leurs interprètes (soit Jonah Hill et Jason Schwartzman), leurs
longues interactions finissent par alourdir un récit somme toute
assez exhaustif tel quel. Cette branche de la trame narrative parcourant
spécifiquement le microcosme des humoristes aspirants de Los
Angeles - petit monde sans grande applicabilité universelle,
cela dit - manque d’ailleurs de liant quant à la portée
émotive du film, étant trop occupée à faire
parader les apparitions de vedettes somme toute drôles, mais plutôt
superflues. En voulant peupler son film d’autant d’amis,
de connaissances et de membres de sa famille qui lui sont cher (et en
tentant de donner de l’épaisseur à tous les personnages
composant cette belle galerie), Apatow alanguit le nerf qui motive l’histoire
qu’il désirait nous raconter au départ - c’est-à-dire
ce que va devenir George Simmons.
Eut-il été conçu dans l’optique d’un
simple drame, Funny People aurait probablement terminé
sa course sans grands honneurs, faute de son approche extrêmement
bourrative. Mais cette commodité toujours étonnante avec
les répliques tonifiantes, cet humour salvateur (et, vous l’aurez
constaté, profusément phallique - donc pas au goût
de tous) vient heureusement alléger le tout, n’enrayant
que très rarement les rouages dramatiques de son intrigue. Employant
le rire pour apaiser cette dure affliction existentielle tout comme
ses clowns tristes le font à répétition, Apatow
rend tolérable la complaisance de son long-métrage, tout
en prouvant qu’il a bel et bien le coeur sur la main. Porté
par les interprétations béantes et occasionnellement sensibles
du trio Sandler-Rogen-Mann, ceux-ci étant sans l’ombre
d’un doute très à l’aise devant la caméra
de leur auteur, Funny People complète la croissance
en trois actes de ce dernier avec suffisamment d’intelligence
pour lui excuser ses maladresses. S’il continue à développer
son expressivité avec le langage cinématographique (ici
bénéficiant de la collaboration du très doué
Janusz Kaminski à la direction photo) et à faire interférer
ses figures complexes avec le même talent pour la comédie
verbale douce-amère, Apatow pourrait s’imposer parmi les
cinéastes populaires les plus remarquables de sa génération.
S’il demeure incapable de restreindre ses élans altruistes
et refuse de faire les sacrifices nécessaires dans la salle de
montage, il y a possibilité que son étoile pâlisse.
Pour ce qui est du moment, cependant, il fait toujours bon vivre pour
Judd Apatow… et pour tous ceux dont le nom et le numéro
se retrouvent dans son carnet d'adresse.
Version française :
Drôle de monde
Scénario :
Judd Apatow
Distribution :
Adam Sandler, Seth Rogen, Leslie Mann, Eric Bana
Durée :
146 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
4 Décembre 2009