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FULL BLAST (1999)
Rodrigue Jean

Par Jean-François Vandeuren

En 1996, l’écrivain acadien Martin Pître remportait le Prix France-Acadie pour son premier roman L’Ennemi que je connais. Trois ans plus tard, son compatriote Rodrigue Jean tirait de l’ouvrage un premier long-métrage qu’il allait présenter au public sous le nom de Full Blast. Malheureusement, Pître n’aura jamais eu la chance d’admirer la qualité du résultat final, lui qui décéda en novembre 1998, soit près d’un an avant l’une des premières projections officielles du film au Festival de Toronto, où il allait remporter le prix du meilleur premier long-métrage canadien. Full Blast propose en soi une incursion peu réjouissante au coeur d’une petite ville côtière de l’est du Canada au moment où les travailleurs de la scierie du coin - et plus important employeur de la région - s’apprêtent à déclencher une grève générale. Les vies de Steph (David La Haye) et de Piston (Martin Desgagné) prendront à ce moment une tournure pour le moins inattendue alors que les longues journées de repos forcé passées à glander et à boire de la bière seront vite habitées par un profond désir de changement, mais aussi par un urgent besoin d’argent. Cet événement coïncidera d’autant plus avec le retour en ville de Charles (Patrice Godin), un vieux complice des deux individus. Le trio croira alors pouvoir meubler ses temps libres en reformant le groupe de musique avec lequel il remplissait autrefois la taverne locale. Il ne manquera pour ce faire que le consentement de Marie-Lou (Marie-Jo Thério), chanteuse et ancienne flamme de Piston avec laquelle ce dernier aura de plus en plus de difficulté à rester en bon terme vue la façon parfois fort discutable dont il s’occupe de leur fille. Une situation à laquelle Piston tentera évidemment de remédier, lui qui verra en ce nouveau projet une occasion en or pour se rapprocher de Marie-Lou.

On s’en doute bien, toutes ces opportunités qui pourraient permettre aux protagonistes d’améliorer ne serait-ce qu’un tant soit peu leur condition ou de simplement accéder au bonheur seront vite balayées du revers de la main - consciemment ou non - par les principaux intéressés. Rodrigue Jean et sa coscénariste Nathalie Loubeyre joueront d’ailleurs de finesse dès le départ en utilisant le début de la grève à la scierie non pas comme la source d’un conflit externe devant être résolu avant l’arrivée du générique, mais plutôt comme un simple sous-texte qui fera naître chez les personnages des préoccupations beaucoup plus personnelles - qui les confronteront ultimement à l’échec de leur propre existence. Charles aura ainsi le béguin pour Steph, mais se heurtera à un mur lorsqu’il lui proposera de passer à une relation un peu plus sérieuse. Steph, quant à lui, continuera de naviguer d’une chambre et d’une aventure à une autre sans avoir l’ambition de jeter l’ancre à quelque endroit que ce soit, jusqu’au jour il sera évidemment trop tard. De leur côté, les affaires de Piston atteindront un creux historique, lui qui sera incapable de faire face à ses responsabilités ou de revenir dans les bonnes grâces de Marie-Lou. Les deux scénaristes établiront alors une opposition pour le moins fascinante entre l’attitude des hommes et celles des femmes par rapport à leur sort et à leur environnement. Ainsi, tandis que les personnages masculins auront de plus en plus de mal à s’orienter et à s’épanouir en tant qu’individu, leurs contreparties féminines se montreront beaucoup plus en contrôle, et surtout aptes à se débrouiller seule. Tous rêveront néanmoins de pouvoir partir un jour vers des lieux un peu plus ensoleillés, même s’ils savent pertinemment que ces endroits lointains ne seront pas forcément à l’abri de la grisaille.

L’harmonie, la joie de vivre et l’accomplissement de soi sont des concepts qui ne se matérialiseront jamais dans l’univers de Full Blast. Aucune fin heureuse ne viendra abréger les souffrances de ces individus qui, de toute façon, n’auront rien fait au cours de notre courte escapade à leurs côtés pour prouver qu’ils méritaient un tel sort. Néanmoins, le cinéaste acadien ne cherchera en aucun cas ici à faire de ses trois protagonistes un exemple dans le but de faire la morale à qui aurait bien voulu l’écouter. Le présent effort se compose ainsi de situations et de personnages que Jean et Pître ont très bien pu observer dans leur coin de pays, qu’ils s’agissent de difficultés reliées à l’emploi, de cette recherche incessante de soi, ou de divers problèmes de dépendance - à l’alcool ou à l’affection. Le monde dépeint par le réalisateur n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de l’excellent Eldorado de Charles Binamé. Mais en s’éloignant des rues de Montréal, Full Blast délaissera aussi la formule du film choral pour se concentrer sur un plus petit groupe de gens évoluant dans un milieu beaucoup plus restreint qui semblera bien souvent les étouffer. Quelques similarités uniront également les deux oeuvres sur le plan esthétique, notamment en ce qui a trait à cette fascination pour les lieux sales et délabrés servant de repères à tous les laissés pour contre évoluant en marge du système. La mise en scène de Jean étonne également à ce niveau de par la précision avec laquelle elle réussit à capturer l’essence de ce microcosme sans jamais chercher à la trafiquer à des fins mélodramatiques, comme c’est parfois le cas dans ce genre d’essais ayant pour sujet la misère humaine. La nuit occupera évidemment une place importante dans l’existence de ces couche-tards, laquelle seraphotographiée d’une manière tout aussi sidérante par la caméra de Stefan Ivano.

Avec ce premier long-métrage de fiction, Rodrigue Jean sera parvenu à prendre une histoire en apparence mineure et à en sortir une oeuvre empreinte d’humanisme et de sincérité dont l’intensité dramatique est également loin d’être négligeable. Le réalisateur aura ainsi osé sortir le cinéma québécois des grands centres urbains pour nous présenter - avec un savoir-faire pour le moins réjouissant - une réalité évoluant la plupart du temps à l’abri des regards. Grâce à de solides performances de la part de l’ensemble des acteurs, nous ne pourrons étrangement qu’être sympathiques à la cause de ses individus vidés de toute volonté et d’autodiscipline, préférant errer dans des endroits où la débauche n’est jamais bien loin plutôt que de poser des gestes concrets pour se remettre sur pied. Ce sera le cas de ce personnage de grand enfant incapable de passer à l’âge adulte qu’incarne Steph, mais aussi celui d’un Piston rongé par le désespoir pour qui Marie-Lou prendra de plus en plus les traits d’une figure maternelle plutôt que ceux d’un intérêt amoureux. Il faut dire que l’univers dans lequel ces derniers se retrouvent - et auquel Jean donne bien souvent des allures de prison - constitue également une partie du problème. Ce milieu sera notamment trop étroit pour que Charles puisse vivre son homosexualité, lui qui finira par comprendre qu’il devra se débarrasser de toutes attaches s’il désire voler à nouveau de ses propres ailes. La dernière image du film sera en ce sens aussi révélatrice que saisissante. Ordinairement, au cinéma, un personnage en quête de renouveau finirait par abandonner son quotidien par une journée radieuse n’annonçant que des jours meilleurs. Par opposition, le personnage interprété par David La Haye ne pourra que revenir sur ses pas et retourner dans sa « cellule » à la plus battante tandis que volera au-dessus de lui une colonie d’oiseaux libre, elle, d’aller où elle veut.




Version française : Full Blast
Scénario : Nathalie Loubeyre, Rodrigue Jean, Martin Pître (roman)
Distribution : David La Haye, Martin Desgagné, Louise Portal, Marie-Jo Thério
Durée : 95 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 26 Septembre 2009