LE FUGITIF OU LES VÉRITÉS D'HASSAN
(2006)
Jean-Daniel Lafond
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Hassan Abdulrahman a porté plusieurs noms au cours de sa vie.
D'abord David Belfield, il sera devenu Dawud Salahuddin dans les années
70 pour s'émanciper comme plusieurs Noirs américains se
joignant à l'époque au mouvement Nation of Islam de son
«nom d'esclave». Le jeune Musulman devient activiste au
sein de diverses cellules du Black Panther puis, à la demande
des services secrets iraniens, abat en 1980 l'ancien attaché
de presse du Chah d'Iran aux États-Unis Ali Akbar Tabatabaï.
Il était suspecté de comploter contre le nouveau régime
de l'Ayatollah Khomeini. Hassan arrive à s'échapper des
États-Unis et se réfugie au Moyen-Orient où il
s'éclipse durant une vingtaine d'année. En fait, on l'oublie
complètement jusqu'au jour où, sur les écrans de
cinéma américain, on l'aperçoive interprétant
un médecin dans le Kandahar du réalisateur iranien
Mohsen Makmalbaf. Le documentariste Jean-Daniel Lafond, mieux connu
par les temps qui courent pour sa «fonction officielle»
d'époux de la gouverneure générale Michaëlle
Jean, décide alors d'aller rencontrer ce fugitif.
D'une manière somme toute admirablement concise, Le Fugitif
ou les vérités d'Hassan arrive à faire la
synthèse de tous les thèmes dominants du paysage documentaire
de l'après onze septembre: l'activisme, l'islamisme, l'antiaméricanisme,
les théories de complot et les jeux de pouvoir qu'elles impliquent.
Si le titre du film place le mot vérité au pluriel, c'est
qu'il n'existe pas de version définitive de celle-ci. Aujourd'hui,
Hassan se présente à nous plus mûr et nuancé
qu'il ne l'était autrefois. Ce « terroriste » a vu
le régime pour lequel il a sacrifié une partie de sa vie
se corrompre; il affirme sans gêne que la plus grande victime
de la révolution en Iran aura été l'Islam lui-même.
Il n'hésite pas à admettre qu'il a tué un homme.
Il a jonglé avec les remords, vécu la trahison et, selon
certains, aurait même été un pion dans le grand
jeu qu'orchestrent ceux qu'il croyait combattre.
Construit à la manière d'un échange ininterrompu
où s'entrelacent avec intelligence les propos toujours pertinents
à la progression de notre réflexion d'Hassan et de ceux
qui l'ont côtoyé, Le Fugitif ou les vérités
d'Hassan n'hésite pas à explorer les nuances et recoins
sombres de l'âme de son sujet. L'absence d'un narrateur accentue
cette esthétique du dialogue que cultive Jean-Daniel Lafond;
son film est une longue conversation abordant le thème de l'action
révolutionnaire à hauteur d'homme. Il rejoint en ce sens
une oeuvre comme The Weather Underground de Green et Siegel,
qui suivait le parcours d'activistes américains ayant eu recours
au début des années 70 à la violence pour faire
valoir leurs opinions.
Dans la forme, Le Fugitif a le mérite de se distinguer
du simple reportage par sa capacité à mettre en scène
un personnage complexe. S'il a souvent recours au format du «
talking head », Lafond s'émancipe des limitations
de ce cadrage par la manière dont il fond narration et réflexion
en un seul et même mouvement. Il ne sombre jamais dans le journalisme
d'enquête classique même si son film partage plusieurs caractéristiques
avec celui-ci, en particulier dans la seconde moitié du film.
Au fur et à mesure que se dévoilent les ramifications
de cette histoire, c'est toute notre perception des thèmes évoqués
qui est interpellée. Heureusement, le regard critique que pose
le film sur l'acte terroriste est tempéré par un commentaire
articulé sur la notion de crime d'état.
Bien entendu, certains des adversaires politiques de Lafond souligneront
avec raison l'ironie de voir qu'il signe suite à la controverse
qu'a soulevé son passé souverainiste un documentaire sur
une victime des idéologies et des mouvements engagés des
années 70. Transforme-t-il le drame d'Hassan en vulgaire métaphore
de sa propre situation épineuse? Soyons honnêtes. Le
Fugitif ou la vérité d'Hassan est un documentaire
passionnant proposant une perspective riche de nuances sur les thèmes-clés
de notre époque. Au-delà de ces vaines questions de politique
auquel est mêlé l'auteur de ce Fugitif se cache
Hassan qui, lui, ne cherche qu'à démontrer qu'il «
existe une vie après l'Amérique. » Alors que plusieurs
documentaires se contentent actuellement de nous répéter
les mêmes choses, celui de Lafond a le mérite d'aller au-delà
des recettes faciles et des informations connues pour dresser ce portrait
d'une grande pertinence.
Version française : -
Scénario :
Jean-Daniel Lafond
Distribution :
Hassan Abdulrahman, Yusuf Abdus Salam, Keith Belfield
Durée :
75 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
18 Octobre 2006