FISH TANK (2009)
Andrea Arnold
Par Jean-François Vandeuren
Vous savez qu’une adolescente a de sérieux problèmes
lorsque dans les premières minutes suivant son introduction,
elle aura déjà envoyé paitre le père de
l’une de ses camarades, fracassé le nez d’une jeune
fille de son voisinage, et tenté de libérer une jument
en piteux état de ses chaînes au beau milieu d’un
terrain vague. La jeune rebelle en question, c’est Mia (Katie
Jarvis), l’héroïne sans repère de ce brillant
second long-métrage de la Britannique Andrea Arnold. La réalisatrice
s’immiscera ainsi le temps de quelques semaines au cours de la
saison estivale dans le quotidien plutôt mouvementé de
la jeune femme en devenir, lequel prendra un virage pour le moins inattendu
le jour où la mère de celle-ci ramènera un nouveau
prétendant (Michael Fassbender, grande découverte du remarquable
Hunger de Steve McQueen) à la maison. Petit à
petit, ce dernier prendra sa place au sein du domicile familial, ce
qui ne sera pas sans déplaire à l’adolescente de
quinze ans, qui ressentira une forte attirance physique pour le trentenaire
dès leur première rencontre. Cette nouvelle dynamique
réveillera visiblement les ardeurs de Mia qui trouvera finalement
- par la force des choses - une nouvelle paix intérieure, elle
qui semblera alors de plus en plus en confiance vis-à-vis elle-même,
mais aussi face aux diverses figures de son environnement immédiat.
Ses nombreuses séances improvisées de danse hip-hop à
l’intérieur d’un appartement inhabité de son
immeuble auront enfin une raison d’être, soit l’obtention
d’une audition pour un concours régional. Mia commencera
également à fréquenter l’un des gitans avec
qui elle avait eu un premier contact pourtant tout ce qu’il y
a de plus hostile, même si celle-ci espérera toujours secrètement
pouvoir se rapprocher de l’amant de sa génitrice. La question
sera évidemment de savoir combien de temps pourra durer une telle
situation…
Il faut dire que Mia ne demeure pas non plus dans le quartier le plus
aisé d’Angleterre. Ne sachant pas toujours quoi faire de
sa peau, celle-ci errera dans les différents recoins de cet univers
déglingué et parfois peu accueillant dans lequel la cinéaste
s’était déjà infiltrée à l’occasion
de son excellent Red Road de 2006. Un milieu où les
résidents sont introduits à l’alcool et au tabac
dès leur jeune âge, en plus d’apprendre rapidement
les moindres expressions d’un langage de rue que l’on imagine
pourtant mal sortir de la bouche de gamines de dix et quinze ans. La
situation familiale de Mia et de sa soeur cadette ne sera évidemment
d’aucune aide face à cette influence on ne peut plus néfaste,
elles qui seront bien souvent laissées complètement à
elles-mêmes, et même encouragées à se tenir
loin de leur appartement lorsque leur mère - tout aussi immature
- désirera y faire la fête jusqu’aux petites heures
de la nuit en compagnie de ses comparses. Mais comme Arnold le souligne
si bien tout au long du film, il ne s’agit aucunement ici du genre
de liberté à laquelle aspire sa protagoniste - d'où
cette identification très rapide à l’animal enchaîné
et cette acharnement à vouloir libérer la bête en
question afin de lui faire quitter ce milieu urbain où elle n’a
définitivement pas sa place. Ce geste, comme tant d’autres,
traduira toutefois davantage le caractère impulsif de la principale
intéressée qu’une intention claire et précise.
Mia agira ainsi sans jamais calculer l’impact de ses actes, ce
qui mènera éventuellement à des événements
particulièrement répréhensibles au cours desquels
elle ne sera d’ailleurs jamais en plein contrôle de la situation.
Une manière des plus infantiles et maladroites de faire face
à la musique ayant évidemment pour but de la protéger
du monde qui l’entoure, mais qui causera ultimement du tort aux
deux partis.
Il ne serait pas non plus insensé d’approcher Fish
Tank en fonction du fameux film de danse, qui aura connu un regain
de vie pour le moins spectaculaire au cours de la dernière décennie.
Mais si la Britannique reprend habilement certains codes propres à
ce genre ordinairement destiné à un public adolescent,
elle n’en fait fort heureusement jamais le principal enjeu de
son scénario. Dans bon nombre de cas, la danse se révèle
d’abord un puissant moyen d’expression corporelle pour ensuite
devenir le billet qui permettra à l’héroïne
du récit de s’évader d’une réalité
plutôt morne et laborieuse. Pour Mia, ses chorégraphies
improvisées représenteront avant tout une source de défoulement
et un moyen d’affirmer son côté indomptable face
au style beaucoup plus sensuel défendu unanimement par les autres
filles de son âge. Une confrontation qui, on s’en doute
bien, se terminera sur un constat d’échec doublé
d’une amère déception, lesquels seront traités
- comme tous les éléments du film - avec dignité,
et surtout la ferme intention de ne jamais faire basculer l’ensemble
dans le mélodrame ou le misérabilisme. C’est d’ailleurs
cette impressionnante uniformité au niveau du ton qui permettra
à la réalisatrice de conférer tout le naturel voulu
à son exercice, en plus d’en faire une première
de classe de « l’école Ken Loach ». Une marque
que nous retrouvons également au niveau de l’interprétation
alors que Michael Fassbender se révèle encore on ne peut
plus charismatique, tandis que la jeune Katie Jarvis s’avère
bouleversante d’authenticité dans son premier rôle
au grand écran. Arnold nous propose en somme une mise en scène
sans fioriture, mais tout de même extrêmement vivante et
directe, donnant lieu à de nombreux jeux de lumières particulièrement
éblouissants en plus de tirer merveilleusement profit du format
quatre tiers, dont l’utilisation n’est pas sans rappeler
ici l’importance que la cinéaste accordait aux caméras
de surveillance dans Red Road.
La distance que prendra la réalisatrice tout au long du film
avec ses différents personnages se révélera évidemment
tout ce qu’il y a de plus nécessaire, écart que
celle-ci réussira d’autant plus à gérer d’une
main de maître. Cette initiative révélera par la
même occasion l’une des grandes forces de la cinéaste
qui, une fois de plus, démontrera une volonté de ne jamais
porter le moindre jugement face à ses protagonistes, tout comme
elle ne cherchera en aucun cas à intervenir directement dans
le récit dans le but de leur faciliter ne serait-ce qu’un
tant soit peu l’existence. La Britannique nous laissera tout de
même sur une dernière séquence absolument foudroyante
dans laquelle elle offrira à son héroïne une occasion
de retourner à un « état sauvage » loin des
tensions familiales, d’un premier amour impossible, et d’un
système scolaire auquel elle ne désire aucunement se conformer.
Le tout sans nécessairement faire de cette échappatoire
une solution à long terme pour l’adolescente. La mère
et ses deux filles exécuteront alors une dernière danse
plutôt nonchalante, mais non moins émouvante, dans le salon
de la demeure familiale. Une ultime preuve d’amour au sein d’un
foyer dans lequel on était plus habitué à se crier
des bêtises qu’à chercher à tisser des liens
durables les uns avec les autres. Une situation qu’Andrea Arnold
résumera parfaitement lors du tout dernier échange entre
les deux frangines. Point final dévastateur d’une oeuvre
d’une grande humanité dans laquelle la cinéaste
sera parvenue à traiter une impressionnante charge émotionnelle
avec vigueur et maturité tout en trouvant toujours le moyen d’en
faire ressortir le caractère essentiellement adolescent. «
Life’s a bitch and then you die », résumera
à juste titre le rappeur Nas au cours du générique
de clôture. Si seulement c’était si simple…
Version française :
Fish Tank
Scénario :
Andrea Arnold
Distribution :
Katie Jarvis, Michael Fassbender, Rebecca Griffiths,
Sarah Bayes
Durée :
123 minutes
Origine :
Royaume-Uni
Publiée le :
19 Février 2010