FINAL FANTASY (2001)
Hironobu Sakaguchi
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Il serait logique d'avancer que le cinéma a été
supplanté dans les dernières années par le jeu
vidéo à titre de divertissement populaire par excellence.
Il faut dire qu'alors que certains parlaient de développer des
films plus interactifs qui permettraient par exemple au spectateur d'en
déterminer la fin, les jeux vidéos devenaient pour leur
part de plus en plus cinématographiques. Tandis que les concepteurs
de la série Wing Commander engageaient Mark Hamill pour
tenir le rôle principal dans de véritables films intégrés
à leurs jeux, la mythique série Final Fantasy
plongeait les joueurs au coeur d'intrigues toujours plus poussées
et complexes qui permettaient une immersion plus totale à son
univers. Et finalement, les jeux vidéos sont devenus, au tournant
du 21e siècle, une industrie plus profitable que le cinéma.
Bien entendu, il existe une certaine interdépendance entre les
deux domaines. Des jeux basés sur de grosses productions hollywoodiennes
existent depuis l'époque du Atari et cette tendance est plus
forte que jamais. Ce qui est plus récent, c'est cette mode de
transformer des jeux vidéos en films, qui gagne du terrain à
chaque année sans pour autant donner de résultats particulièrement
convaincants.
Il était logique que Final Fantasy ait droit au traitement
cinématographique de luxe un jour ou l'autre. L'idée n'était
pas en soi dépourvue de potentiel étant donné la
richesse de l'univers créé par Squaresoft. Des dessins
animés traditionnels inspirés de la saga avaient déjà
été produits pour le marché japonais, certes, mais
The Spirits Within est une toute autre histoire. C'est une
production gigantesque au budget colossal qui vise premièrement
à charmer le marché américain. Fait autrement plus
intéressant, le film d'Hironobo Sakaguchi est aussi une autre
de ces fameuses avancées majeures dans le domaine de l'animation
numérique accompagnée d'un discours sur la naissance d'une
nouvelle ère pour le 7e art. Bientôt, les acteurs en chair
et en os seront inutiles et des vedettes d'autrefois pourront revenir
à la vie question d'ajouter de nouveaux titres à leur
filmographie. Le monde réel est dépassé! Bienvenue
dans l'âge virtuel.
Ces prétentions sont bien entendu farfelues. S'il est vrai que
le blockbuster moyen est depuis maintenant plusieurs années
une orgie d'effets numériques qui frôle carrément
le dessin animé, un amas de pixels n'a pas de sentiments et ne
dégage aucune chaleur humaine. On a beau donner la voix et l'apparence
de Donald Sutherland à l'un d'eux, il ne devient pas pour autant
Donald Sutherland et ne peut pas le remplacer. De toute façon,
l'objectif premier des pionniers de cette nouvelle forme de cinéma
devrait-il vraiment être de reproduire la réalité
telle qu'elle existe déjà? Dans un univers encore nouveau
où la seule frontière est l'imagination, c'est là
une vision plutôt terre-à-terre du progrès. N'est-ce
pas une étrange perte de temps, de talent et d'argent que de
travailler d'arrache-pied à reproduire des cheveux crédibles
quand il en pousse à profusion sur le crâne du plus médiocre
des comédiens.
Il est bien difficile de s'intéresser à l'histoire de
Final Fantasy dans de telles conditions. Ses protagonistes
synthétiques demeurent du début à la fin des figures
plates qui ne piquent jamais l'intérêt, et les relations
qui les unissent sonnent encore plus faux que dans une production hollywoodienne
traditionnelle. Et c'est d'ailleurs cet exact modèle éculé
qu'émule paresseusement le film de Sakaguchi jusque dans les
moindres détails. On a même droit au cliché ultime
du gentil noir blessé qui se sacrifie pour sauver ses camarades,
c'est tout dire. Seules distinctions possibles, le rythme maladroit
de la narration est plus près du jeu vidéo que du cinéma
alors que les dialogues sont d'une incompétence remarquable que
peu de films peuvent se vanter d'atteindre. The Spirits Within
a au moins le mérite de présenter une position idéologique
sympathique en plaçant des écologistes un peu mystiques
en opposition a des militaires belliqueux qui veulent tout régler
à coup de canons, ce qui en fait un film socialement plus sain
qu'Independance Day, par exemple. Faible consolation qui n'est
en rien rédemptrice.
Final Fantasy: The Spirits Within est un échec terriblement
convenu à tous les niveaux autres que celui de la technologie,
domaine où la gloire est toujours de bien courte durée.
Certaines images de ce film de science-fiction prévisible sont
bien entendu sublimes, mais il demeure dans l'ensemble d'une platitude
remarquable et indéniable. Ses créateurs peuvent parler
de révolution tant qu'ils le voudront, s'ils la font pour en
arriver à un cinéma ankylosé des mêmes défauts
que celui dont ils auront provoqué l'effondrement, leur lutte
aura été vaine. Certes, le cinéma numérique
est un phénomène formidable qu'il faut embrasser avec
optimisme. Il ne faut pas tomber dans une étroite vision nostalgique
du passé au nom d'une sorte de fidélité à
l'Éternel et à des technologies dispendieuses et dépassées,
mais il est malgré tout nécessaire de différencier
les aspects fascinants et libérateurs de cette technologie de
ses côtés froids et artificiels que The Spirits Within
incarne fièrement et sans aucun compromis.
Version française : Final Fantasy : Les Créatures
de l'esprit
Scénario : Hironobu Sakaguchi, Al Reinert
Distribution : Ming-Na, Alec Baldwin, Ving Rhames, Steve Buscemi
Durée : 106 minutes
Origine : États-Unis, Japon
Publiée le : 1er Janvier 2005
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