THE FIFTH ELEMENT (1997)
Luc Besson
Par Alexandre Fontaine Rousseau
On peut bien accuser Luc Besson d'être en grande partie responsable
de l'américanisation du cinéma français et de carrément
le dénaturer afin de plaire à un public international,
mais son Cinquième élément demeure d'abord
et avant tout une tentative de remettre les pendules à l'heure
quant à l'importance de l'Hexagone, et plus particulièrement
de sa bande dessinée, dans le développement de la science-fiction
mondial. Épuisé de voir l'univers de bédéistes
français tels que Moebius et Mézières pillé
sans gêne par le cinéma américain, Besson décide
en 1991 de créer Zaltman Bléros, projet qui sera
en fin de compte abandonné mais définira les fondations
à partir desquelles s'élèvera Le Cinquième
élément quelques années plus tard. Tourné
en anglais avec des vedettes américaines, le film de Besson semble
à première vue faire trop de concessions au format hollywoodien
pour être considéré français à part
entière. Tout y explose à gauche et à droite et
Korben Dallas (Bruce Willis) habite un New York futuriste qui n'a rien
de bien parisien. Cependant, Le Cinquième élément
cultive une exubérance et une folie toute française que
n'aurait probablement jamais osé un réalisateur américain.
Visuellement, Le Cinquième élément est
une explosion de couleurs vives et de formes bigarrées où
tous portent la collection Été 2314 de Jean-Paul Gaultier.
À partir d'une esthétique inspirée tant par l'univers
de la publicité que par celui de la mode, Besson créé
avec moult détails un monde futuriste qui transforme en une réalité
presque tangible celle qui ornait les pages d'aventures de Valérian.
Il faut bien dire que Jean-Claude Mézières lui-même
a travaillé à l'élaboration des décors du
film. Voilà qui explique la ressemblance frappante entre le taxi
de Korben Dallas et la limouzingue de S'traks dans Les Cercles du
pouvoir...
Au niveau des personnages, le travail de conception est autrement plus
brouillon. Toutefois, Besson aura eu la brillante idée d'utiliser
la référence afin de tracer les grandes lignes de ses
personnages en peu de temps. Ainsi Korben partage avec le Deckart de
Blade Runner un gout pour la gastronomie asiatique et quelques
échanges de regards par son rétroviseur permettent de
dresser quelques parallèles avec un autre vétéran
de la guerre devenu chauffeur de taxi, Travis Bickle. Le prêtre
Vito Cornelius, lui, est en quelque sorte un Obi-Wan Kenobi bon marché
moins noble et plus gaffeur. Il faut dire que le spectre de Star
Wars n'est jamais très loin dans ce Cinquième
élément qui y fait quelques clins d'oeil. Il est
possible de faire preuve de scepticisme devant cette galerie de personnages
minces comme une feuille de papier, mais nous sommes ici bel et bien
dans l'univers ludique de la bande dessinée et il ne faut pas
l'oublier. Et rien, absolument rien, ne l'illustre aussi bien que l'hilarant
Ruby Rhode de Chris Tucker ou ce méchant délicieusement
unidimensionnel qu'est Zorg (Gary Oldman). Truculent dans un rôle
qu'il interprète avec un plaisir évident, Oldman retrouve
ici le réalisateur qui l'avait si bien dirigé dans Le
Professionnel.
Dans cet univers hyperactif et tapageur, difficile de laisser une place
quelconque au scénario qui, lui, en prend pour ses frais. Tant
pis! Dans le cas du Cinquième élément,
il n'est qu'un simple prétexte à une orgie criarde d'effets
spéciaux et de scènes d'actions explosives campées
dans des décors imaginatifs. Besson n'a jamais été
un cinéaste de la substance et son film poursuit dans cette même
lignée ouvertement superficielle avec une assurance remarquable.
En fait, une force majeure du film de Besson est justement d'embrasser
avec une joie toute juvénile son ridicule parfois extrême.
Son caricatural montage même nargue toute prétention sérieuse
avec force.
Bruyant, extravagant et parfois tout simplement délirant, Le
Cinquième élément n'a rien d'un film intelligent
et raffiné. L'amour, incarné par une Milla Jovovich aux
cheveux rouges plus souvent nue que vêtue, y est finalement la
solution à tous les problèmes du monde... Américain,
alors, le western cosmique de Besson? Soit, on est bien loin des films
de science-fiction cérébrale qu'avaient offert dans les
années 60 Godard et Truffaut, les aspirations intellectuelles
desquelles le plus américain des réalisateurs français
évacue à grand renfort de canons mitrailleurs vert lime.
Toutefois, si tous les divertissements à grand déploiement
que nous défèquent à chaque année les Américains
étaient aussi plaisants que celui-ci, on se plaindrait bien moins
souvent de leur surabondance...
Version française :
Le Cinquième élément
Scénario :
Luc Besson
Distribution :
Bruce Willis, Gary Oldman, Ian Holm, Milla Jovovich,
Chris Tucker
Durée :
126 minutes
Origine :
France
Publiée le :
30 Novembre 2004