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UNE FEMME EST UNE FEMME (1961)
Jean-Luc Godard

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Entre autres choses, Godard adore l'énumération. Justement, Une Femme est une femme débute sur un enchaînement de mots, glissés entre les noms que contient tout bon générique, pour annoncer le spectacle exubérant à venir. COMÉDIE, FRANÇAISE, MUSICAL, THÉÂTRAL, SENTIMENTAL, OPÉRA. Puis, enfin, CINÉMA. Godard, d'abord critique, sera ensuite cinéaste. "En tant que critique, je me considérais déjà comme cinéaste", dira-t-il un jour à propos de ses années passées aux Cahiers du cinéma. Pour aimer Godard, il faut aimer le cinéma. Car Godard se nourrit à même le cinéma de ses archétypes et de ses genres. C'est un cinéphile vorace qui cherchera avec son oeuvre à réinventer le cinéma en y alliant l'art et la vie. Pour lui, réinventer c'est "montrer en même temps que démontrer, innover en même temps que copier, critiquer en même temps que créer". Godard ne cherche pas la nouveauté. Il cherche simplement à faire les mêmes choses que les autres autrement.

De tout son être, le troisième film de Godard est à la fois clin d'oeil et hommage à la comédie américaine. C'est un genre que le réalisateur affectionne particulièrement à l'époque parce qu'il se "laisse aller à la pleine jouissance de l'instant" et "restaure la rapidité de l'action". Bref, l'humour naît avec le rythme, au moment du montage que Godard maîtrise si bien. Une Femme est une femme est une oeuvre particulièrement dynamique, tant dans sa géographie que dans la manière dont elle fut tournée et montée. Le scénario tient sur à peu près huit pages. On y trouve un commentaire particulièrement révélateur, qui aura de formidables répercussions sur l'énergie remarquable du produit final: "Toute l'action se déroule dans un périmètre d'une centaine de mètres carrés. Il est important que les gens puissent se parler de fenêtre à fenêtre ou de fenêtre à porte."

Une Femme est une femme bondit, sautille et rebondit d'une scène à l'autre. Chaque coupe est une manière de vite glisser un gag entre les lignes des événements. Chaque action a des répercussions directes sur le déroulement de cette intrigue extrêmement compacte. Peut-être est-ce cette incroyable vivacité qui nous fait oublier l'histoire convenue qui nous est proposée. Émile et Angela s'aiment. Alfred aime aussi Angela. Émile et Alfred sont de bons amis. D'accord, il y a un autre problème. Angela veut un enfant. Maintenant. Émile non. De là naît tout un conflit entre ces amoureux pourtant faits l'un pour l'autre, qui s'aiment absolument et totalement comme on le fait si bien dans les films.

La grande force du cinéma de Godard est d'allier comme par magie intelligence et simplicité. "Pour faire du cinéma, il s'agit de filmer des gens libres". C'est ce que s'applique à faire le réalisateur d'une scène à l'autre. Godard laisse l'inspiration de ses comédiens diriger les scènes. Jean-Paul Belmondo grimace avec un plaisir évident et chacune de ses répliques fait mouche. Anna Karina, pour sa part, est formidable et imprévisible. Comme son personnage, elle emploie l'absurde comme s'il s'agissait d'une logique implacable. Les scènes qu'elle partage avec Jean-Claude Brialy sont parfaites. La complicité qui s'établit entre les deux comédiens est inimitable. Tant et si bien que l'on arrive à croire à leurs personnages et ce même si Godard s'évertue à nous rappeler à tout bout de champs que le spectacle se déroulant sous nos yeux n'est que du cinéma.

Un spectacle léger et pétillant, à la limite frivole, même s'il est parfois cruellement proche de la réalité. Mais quel spectacle mes amis! Tout naturellement, les personnages laissent la musique guider leurs faits et gestes. Sur un coup de tête, ils décident de monter une comédie musicale grandiose à même leur quotidien. Une Femme est une femme n'est que style et rythme, couleurs et caprices. Mais il en a trop pour que l'on y cherche autre chose. À la limite, on pourra l'accuser d'être une version moins mythique et viscérale de Bande à part. Mais la vie n'est pas qu'une tragédie en noir et blanc.

Il y a des moments où la vie valse joyeusement. Le chaleureux et très accessible Une Femme est une femme épouse cet état d'esprit euphorique avec une tonicité éblouissante. Même s'il s'agit d'une oeuvre mineure au niveau thématique dans l'imposante filmographie de Godard, il s'agit aussi d'un moment brillant où son désir de capturer la vie l'aura emporté sur une piste optimiste, drôle et vive. Derrière un montage éclaté et des personnages foncièrement cinématographiques se cache une comédie romantique bien classique. Mais Godard ne cherchait après tout qu'à faire les mêmes choses autrement. À ce niveau, Une Femme est une femme est une grande réussite, enivrante à souhait.




Version française : -
Scénario : Jean-Luc Godard
Distribution : Jean-Claude Brialy, Anna Karina, Jean-Paul Belmondo, Karyn Balm
Durée : 85 minutes
Origine : France, Italie

Publiée le : 19 Janvier 2006