FAUST (1926)
Friedrich Wilhelm Murnau
Par Alexandre Fontaine Rousseau
S'il est un film parmi les chefs-d'oeuvre de l'expressionnisme allemand
qui soit sous-estimé, c'est probablement la géniale illustration
de la légende de Faust que réalisa l'ambitieux
Friedrich Wilhelm Murnau en 1926. Enchainant les séismes épiques
avec toute la subtilité d'un opéra de Wagner, le Faust
de Murnau demeure l'un des sommets incontestables de l'illustration
de l'art baroque au cinéma tant chaque cadre est une peinture
expressive au sens dramatique poussé à l'extrême.
Tant par son exploitation remarquablement efficace de l'iconographie
religieuse que par son sens supérieur de l'esthétique,
ce véritable classique de l'ère muette demeure l'un des
testaments les plus vibrants du pouvoir éloquent de la musique
et de l'image.
À elle seule, la première moitié du film vaut l'attention
appliquée de n'importe quel cinéphile tant elle s'avère
une allégorie riche et dense de la souffrance et des dilemmes
de l'existence humaine. L'univers de Faust, à l'image
de sa superbe photographie contrastée, est fait de noir et de
blanc, de bien et de mal. Le film vient à peine de commencer
que l'Archange est déjà aux prises avec Satan, et accepte
un pari dont l'enjeu n'est rien de moins que l'avenir du monde. Murnau
nous plonge dans un univers au prise avec la peste où l'homme
est confronté à ses peurs et à ses désirs
primaires. Les figures religieuses sont incapables de contrôler
l'hystérie et un seul homme tient sur ses épaules le poids
de l'humanité. Ce Faust, un vieillard sage et bienveillant, est
l'un des plus brillants alchimistes de son temps. Mais toutes ses capacités
ne peuvent venir à bout de l'épidémie qui détruit
sa ville et fait tomber ses concitoyens. Un pacte avec Mephisto, maitre
des enfers, semble la seule solution afin d'obtenir le pouvoir nécessaire
pour aider ses pairs...
Mais les voies que propose le démon mènent toutes à
l'égoïsme et à la vanité. Bientôt, Faust
demande à son nouveau serviteur la jeunesse éternelle
en échange de son âme. Le voici cumulant les excès
et se vautrant dans la débauche comme pour oublier son échec.
Mais l'amour pur aura raison de la corruption de cette pauvre âme
damnée. Si les folâtreries champêtres du troisième
quart de Faust ne sont pas à la hauteur du volet précédent,
si fastueusement orchestré par un Murnau dirigeant une véritable
symphonie filmique, elles ont le mérite de présenter un
Mephisto à deux visages. Tantôt bouffon cabotin, tantôt
spectre vicieux et manipulateur, le menaçant démon devient
aussi un élément humoristique pervers du film. L'alternance
parallèle entre Faust courtisant Gretchen et ce pendant illusoire
et cruel que mène Mephisto a tôt fait de donner un gout
amer à des scènes en apparence légères.
Bien sûr, la nature tragique de ce conte rattrapera les amoureux
maudits. Mais l'obscurité sied à merveille à l'univers
gothique relevé que peint de main de maitre Murnau et son département
artistique. Il faut dire qu'après le succès de son Nosferatu,
le cinéaste allemand obtint un budget colossal et la liberté
artistique totale pour réaliser son prochain opus. En retour,
Murnau livra cette vision splendide et inspirée d'un conte traditionnel
intemporel que l'on peut difficilement imaginer être racontée
différemment. Encore aujourd'hui, la narration demeure dynamique
et efficace même si la première moitié enfile les
déclarations grandiloquentes à un rythme furieux. Mais
c'est justement cet excès lyrique et ce sens grandiose du spectacle
qui fait de Faust une telle réussite.
Devant un spectacle visuel aussi inspiré, il est impossible de
rester de glace. Mais au-delà de l'image, Faust soulève
des thèmes immortels à l'aide d'une imagerie éloquente
implantée à même le subconscient du spectateur occidental
moyen. En oubliant le réalisme auquel le cinéma moderne
semble si attaché, Murnau avait créé avec Faust
une majestueuse vision surnaturelle dont l'atmosphère glauque
appartient à l'univers du cinéma d'horreur alors que le
traitement éclaté de l'écran demeure d'abord et
avant tout l'un des aboutissements ultimes du courant expressionniste
allemand. À la limite, certains accuseront les segments plus
légers de ruiner l'obscurité ambiante. Mais ils demeurent
nécessaire à la création de ce contraste qui rend
la finale du film si cruelle et déchirante. Avec ce cinquième
film, Murnau confirmait son génie et son sens esthétique
remarquable. Mais c'est la puissance infinie de la légende de
Goethe qui permet à ce film d'atteindre le statut de chef-d'oeuvre
du septième art.
Version française : Faust
Version originale : Faust
Scénario : Hans Kyser, Johann Wolfgang Goethe, Christopher
Marlowe
Distribution : Gösta ekman, Emil Jannings, Camilla Horn,
Frida Richard
Durée : 116 minutes
Origine : Allemagne
Publiée le : 20 Septembre 2005
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