FAHRENHEIT 451 (1966)
François Truffaut
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Considéré par plusieurs comme un film mineur dans la filmographie
de François Truffaut, Fahrenheit 451 n'en demeure pas
moins un élément unique de celle-ci. Unique tout d'abord
car tourné en anglais par le célèbre réalisateur
français, mais surtout car il s'agit d'un film de science-fiction
bien loin de l'univers des films l'ayant fait connaitre, Fahrenheit
451 permet à Truffaut de traiter du même genre d'avenir
déshumanisé qu'avait abordé un an plus tôt
son collègue des Cahiers du cinéma Jean-Luc Godard avec
Alphaville. Beaucoup plus conventionnel dans sa forme que l'étrange
chef-d'oeuvre de Godard, Fahrenheit 451 se distingue d'abord
et avant tout par la richesse de son propos, richesse qu'il partage
avec le célèbre roman de Ray Bradbury dont il est une
adaptation fort fidèle.
Se résumant à bien plus que la simple idée que
«l'humanité de l'homme, c'est le livre», comme le
déclarait récemment Philippe Mangeot à l'occasion
d'une rétrospective Truffaut publiée par les mêmes
Cahiers qui l'ont fait connaitre, Fahrenheit 451 est en fait
la critique d'un régime prêt à renier sa propre
culture afin de créer un semblant d'ordre social. Fahrenheit
451 est la triste histoire d'une abdication culturelle totale au
nom du bien commun. Car, dans cet univers somme toute plutôt familier
où l'on se laisse à longueur de journée hypnotiser
par une télévision abrutissante, les pompiers tels que
Montag (Oskar Werner) ne sont plus payés pour éteindre
des feux mais bien pour en allumer, utilisant comme combustible les
livres qu'ils sont chargés de faire disparaitre sous prétexte
qu'ils rendent malheureux une population qui ne recherche que le plaisir.
Or, voilà que ce pompier commence lui-même à se
demander ce que cache ces livres pour lesquels certains sont même
prêt à mourir, et finit par se lancer dans la lecture de
l'un d'eux pour y découvrir toute la richesse de cet univers
interdit qu'est devenu la culture. En ce sens, Truffaut, comme Bradbury
l'avait fait dans son roman, déclare bel et bien, haut et fort
le poing fièrement brandi au ciel, que l'humanité de l'homme,
l'apothéose de l'esprit humain, se trouve dans l'art et la philosophie.
Par ailleurs, la critique sévère qu'il signe d'un régime
tentant d'arracher à l'homme cette richesse est tout aussi importante
que sa glorification de celle-ci. En ce sens, l'une des meilleures scènes
du film demeure ce moment où l'on exécution un faux Montag
afin de prouver que le régime ne peut être vaincu et qu'il
ne peut être trompé. Le meurtre de cet innocent, choisi
au hasard afin d'asseoir le pouvoir d'un régime qui ne peut avoir
tort, diffusé en direct afin de divertir le bon peuple, résume
à merveille le totalitarisme à l'ère médiatique.
Là où le film de Truffaut se distingue du roman de Bradbury
et se paie même le luxe suprême d'y être supérieur,
est dans cette finale poétique qui surclasse aisément
celle, plus apocalyptique mais aussi plus convenue, du livre. Ainsi,
Montag se réfugie chez les hommes-livres, une communauté
de hippies littéraires où chaque individu mémorise
un ouvrage afin qu'il survive à cette sombre époque de
censure globale. Éclat d'optimisme et de sentimentalisme étonnant
à la toute fin d'un film pourtant si froid et mécanique
dans sa forme, cette conclusion offre un contraste étonnant et
agréable qui permet une véritable connexion entre le film
et le spectateur. Très années soixante, direz-vous.
Avec une grande retenue, François Truffaut se permet avec Fahrenheit
451 une adaptation maitrisée et respectueuse d'un livre
remarquable. En fait, le pire moment du film est justement celui où
le réalisateur oublie cette simplicité volontaire bienfaisante
et tente de jouer au jeu des effets spéciaux lors d'une séquence
terriblement risible et inutile où de pauvres cascadeurs accrochés
à des fils de fer pendent misérablement devant une image
en mouvement pour simuler leur vol. Heureusement, grâce à
plusieurs images mémorables - cette vieille femme qui décide
de bruler avec ses livres, par exemple - le réalisateur offre
un film qui marque le spectateur tout en subtilité et célèbre
la richesse, et surtout l'importance, de la culture. Voilà qui
aura de quoi rassurer ceux qui auraient pu perdre foi en elle...
Version française : Fahrenheit 451
Scénario : Jean-Louis Richard, François Truffaut,
Ray Bradbury (livre)
Distribution : Oskar Werner, Julie Christie, Cyril Cusack, Anton
Diffring
Durée : 112 minutes
Origine : Royaume-Uni
Publiée le : 16 Décembre 2004
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