EXTRACT (2009)
Mike Judge
Par Jean-François Vandeuren
Après une brève incursion au coeur d’un monde futuriste
dans lequel la race humaine avait réussi à atteindre de
nouveaux sommets de stupidité dans l’inégal Idiocracy
de 2006, Mike Judge effectue finalement un retour dans l’univers
pas toujours très stimulant des travailleurs nord-américains
avec son quatrième long-métrage, Extract. Le
créateur de Beavis and Butt-Head quitte ainsi la grisaille
généralisée propre à la vie de bureau telle
qu’il l’avait dépeinte dans son délirant Office
Space pour s’immiscer à l’intérieur de
celle d’une fabrique d’essences alimentaires. Nous y rencontrerons
le fondateur de cette belle entreprise, Joel (Jason Bateman), à
un moment où son existence prendra une tournure pour le moins
inattendue, mais pas nécessairement pour le mieux. Jonglant déjà
avec une vie de couple qui n’est visiblement plus aussi palpitante
qu’auparavant, un voisin tout ce qu’il y a de plus envahissant,
et des employés avec lesquels il semble toujours y avoir un problème,
l’univers de Joel basculera complètement le jour où
l’un de ses salariés sera impliqué malgré
lui dans un grave accident testiculaire. C’est alors que se joindra
à l’équipe une jolie escroc nommée Cindy
(Mila Kunis) qui tentera par tous les moyens de convaincre le pauvre
blessé de poursuivre la compagnie pour un montant assez faramineux.
Ne se doutant de rien, Joel tombera sous le charme de la nouvelle venue
et cherchera un moyen de se rapprocher d’elle sans avoir à
vivre avec le remord d’avoir commis l’adultère. Un
vieil ami du principal intéressé (Ben Affleck) lui proposera
alors d’engager un gigolo pour que ce dernier ait d’abord
une aventure avec sa femme. Cette histoire saugrenue dérapera
évidemment de façon inimaginable et Joel se retrouvera
devant une situation ingérable entre la fin imminente de son
entreprise et celle de son mariage.
Les personnages de Mike Judge n’ont jamais été réputés
pour leur grande force de caractère, mais plutôt pour leur
incapacité à faire face à des événements
pourtant tout ce qu’il y a de plus anodins. L’artiste américain
aura d’ailleurs développé un intérêt
marqué au fil des ans pour le quotidien de ces sympathiques «
perdants » n’exerçant qu’un contrôle
assez limité sur les rouages de leur propre existence. Dans cette
optique, Extract se veut bel et bien la suite logique du fort
divertissant opus de 1999 alors que Judge s’éloigne ici
considérablement de la routine de ces travailleurs blasés
pour se mettre dans la peau d’un patron à bout de ressources
- et de nerfs. Comme nous pouvons le constater à la lecture du
synopsis du présent effort, il règne dans le scénario
de Mike Judge un désordre qui peut devenir parfois assez déroutant.
Mais bien que les nombreuses pistes narratives du récit soient
toutes sources de situations comiques produisant, pour la plupart, les
effets escomptés, nous ne pouvons nous empêcher de croire
que le cinéaste américain a peut-être vu trop grand
- ou pas assez - durant l’élaboration de ce nouveau long-métrage.
Le présent exercice se voulait pourtant une occasion rêvée
pour le réalisateur d’approfondir ses thématiques
liées à la forme actuelle du marché du travail
telles qu’il nous les avait présentées dans Office
Space. Malheureusement, Judge ne se contente bien souvent ici que
de faire du surplace et finit par dissoudre ses idées les plus
prometteuses dans un ensemble qui, même si relativement efficace,
ne semble pas toujours savoir où donner de la tête. La
progression du récit paraîtra ainsi quelque peu forcée
et irrégulière alors que le milieu dans lequel il prend
forme aurait été en soi amplement suffisant pour arriver
à un résultat aussi riche en substance qu’en valeur
humoristique.
Il faut dire qu’une bonne partie de l’aspect comique du
film de Mike Judge est basée sur le caractère volontairement
répétitif de certaines situations, alors que d’autres
ne se contente bien souvent que d’effleurer le potentiel pourtant
énorme lié à une telle histoire pour créer
un effet d’entraînement somme toute stimulant, mais néanmoins
assez limité. Le cinéaste nous confrontera ainsi à
des événements de plus en plus ridicules qu’il déploiera
à l’intérieur d’un cadre narratif dont il
aura étrangement énormément de difficulté
à solidifier les bases. Mais entendons-nous bien : Extract
est également loin d’être un film complètement
raté. Celui-ci dissimule même plusieurs séquences
franchement réussies dans un scénario qui, sans jamais
être complètement ennuyeux, aura été simplement
affaibli par un certain nombre de sous-intrigues dont nous aurions très
bien pu nous passer. Et malgré ce que l’on pourrait croire,
le présent effort marque aussi un changement de ton tout de même
assez important dans l’oeuvre de l’auteur, lui qui nous
aura habitués à une plume généralement beaucoup
plus acerbe et grinçante. Judge mise ainsi sur la nonchalance
et le manque de repaires de ses personnages d’une manière
toujours aussi adéquate alors que le style volontairement paresseux
de ce dernier continue de coller parfaitement à la monotonie
de son univers filmique. Mais ce qui n’était auparavant
qu’une force dans le travaille du cinéaste se révèle
parfois une faiblesse dans ce cas-ci alors que le ton n’est plus
aussi virulent que dans Office Space - ou même Idiocracy
- et que le tout entraîne à l’occasion de sérieux
problèmes de rythme. Car si le talent humoristique de l’Américain
demeure en soi indéniable, toutes les bonnes intentions que ce
dernier semble avoir développées envers ses protagonistes
finirent par lui jouer des tours et le poussèrent visiblement
à prendre de moins en moins de risque.
Cette baisse de régime sera particulièrement perceptible
lorsque tout semblera sur le point de chavirer dans l’univers
de Joel jusqu’au moment où un événement en
apparence insignifiant lui permettra de reprendre graduellement le contrôle
de sa vie, et ce, sans que trop de dommage n’ait été
causé. Mais comme c’était le cas dans Office
Space, la résolution de ce conflit ne sera aucunement le
fruit de gestes posés par le protagoniste. Alors que la chance
aura permis aux trois employés d’Initech de sauver leur
peau, la compagnie de Joel sera quant à elle épargnée
grâce à la soudaine bonne volonté de l’antagoniste
qui décidera tout simplement de laisser vivre le pauvre homme
d’affaire au bout du rouleau pour s’attaquer à une
victime beaucoup plus «méritante». Une finale qui
peut évidemment paraître un peu facile, mais qui n’est
pas non plus dépourvue de tout sens en ces temps de crise économique
où il est mieux de se serrer les coudes et de s’entraider
plutôt que de chercher inutilement à se mettre des bâtons
dans les roues. Grâce au jeu tout ce qu’il y a de plus désarmant
de Jason Bateman, il sera évidemment facile d’éprouver
de l’empathie pour cet entrepreneur fictif qui réapprendra
à aimer son quotidien et qui, pour une fois, n’aura pas
été dépeint comme une crapule malhonnête
et foncièrement égoïste, et ce, malgré quelques
erreurs de jugement. L’acteur américain est accompagné
par une distribution tout aussi enjoué campant avec un plaisir
évident une brochette de personnages un peu bête et maladroit
dont il aurait effectivement été très facile de
profiter. Bref, même si elle ne passera certainement pas à
l’histoire, Extract demeure une comédie somme
toute agréable, mais dont le manque d’audace se fait vite
sentir alors que s’enchaînent les situations dont nous doutons
encore de l’utilité tandis que d’autres seront résolues
d’une manière plus que douteuse.
Version française :
Essence
Scénario :
Mike Judge
Distribution :
Jason Bateman, Mila Kunis, Ben Affleck, J.K. Simmons
Durée :
91 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
5 Septembre 2009