UN ÉTÉ SANS POINT NI COUP SÛR
(2008)
Francis Leclerc
Par Jean-François Vandeuren
Été 1969 : l’homme marche sur la Lune. Mais plus
important encore, les Expos de Montréal disputent leur toute
première saison dans la Ligue nationale de baseball. Même
si les piètres performances de la nouvelle équipe ne lui
permettent évidemment pas de rivaliser avec les plus grandes
formations états-uniennes, elles sont néanmoins suffisantes
pour soulever les passions chez tous les amateurs de sport de la province
de Québec. À des kilomètres de la métropole
et du Parc Jarry, Martin (Pier-Luc Funk) et sa bande ne semblent avoir
d’yeux et d’oreilles que pour leurs nouveaux héros,
dont ils espèrent bien pouvoir suivre les traces. Ces derniers
chercheront ainsi à joindre les rangs de la prestigieuse équipe
Pee-Wee du réputé Gilbert Turcotte (Roy Dupuis), au sein
de laquelle ils ne décrocheront en bout de ligne que de simples
postes de réservistes. Peu enclin à l’idée
de voir son fils ne rien faire de ses journées durant toute la
période estivale, Charles (Patrice Robitaille) s’engagera
à former une équipe de second niveau avec tous les joueurs
retranchés par le rigoureux entraîneur. Les conditions
seront toutefois peu favorables au bon développement de ces derniers
alors que Charles - qui n’a en soi que très peu d’intérêt
pour le baseball - ne pourra dénicher pour Martin et ses coéquipiers
qu’une pile de vieux chandails de hockey en guise d’uniformes
et un terrain dans un état lamentable comme surface de jeu. Les
choses changeront toutefois pour le mieux lorsqu’un nouvel arrivant
et son fils peu bavard, mais particulièrement doué pour
le sport national américain, se joindront à l’organisation
dans le but d’aider celle-ci à retrouver le chemin de la
victoire.
La prémisse d’Un été sans point ni coup
sûr peut évidemment paraître quelque peu simplette
au premier abord. Mais le scénariste Marc Robitaille parvient
néanmoins à tirer son épingle du jeu avec cette
adaptation de son propre roman en accordant une importance toute particulière
au contexte socioculturel dans lequel se déroule son récit,
qu’il dépeint avec discernement et sensibilité.
Tout comme dans son étonnant Histoires d’hiver,
Robitaille contemple ici une période de mutations personnelles
et sociales à travers les yeux d’un enfant tout en développant
ses différents thèmes et enjeux dramatiques en parallèle
avec l’engouement grandissant du gamin pour un phénomène
sportif donné. L’écrivain traitera notamment de
la montée du féminisme alors que la mère de Martin
(Jacinthe Laguë) cherchera tant bien que mal à sortir du
domicile familial pour aller s’épanouir sur le marché
du travail, au grand damne de son mari qui se montrera toujours un peu
méfiant face à toute idée de changement. Mais si
la figure du père a souvent été écorchée
par les cinéastes québécois au cours des dernières
années, Robitaille s’évertue de son côté
à redorer le blason de ce personnage que plusieurs se sont obstinés
à décrire comme un être absent, blasé et
irresponsable. Terrorisé au départ par la pensée
de ne plus être indispensable aux yeux de sa femme et de son fils,
Charles réussira tout de même à sortir de sa coquille
pour finir par agir non plus en tant que simple chef de famille, mais
bien à titre de père à part entière. Une
évolution qui lui permettra évidemment de se rapprocher
de Martin, et qui donnera également tout son sens à une
touche de fantaisie que le scénariste avait jusqu’alors
introduite d’une manière quelque peu maladroite.
Tout comme l’excellent C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée,
Un été sans point ni coup sûr carbure lui
aussi à la nostalgie. Leclerc et Robitaille jouent d’ailleurs
de finesse à ce niveau en se servant de leur mise en situation
pour offrir une réflexion aussi neutre que lucide sur la place
que commençait à occuper la culture populaire américaine
au sein de celle du Québec au cours des années soixante.
En plus de l’arrivée du baseball professionnel en territoire
montréalais, les deux cinéastes appuient également
cette idée en évoquant la domination des séries
télévisées comme Bewitched et Gilligan’s
Island, tandis que les Daniel Bélanger, Ariane Moffatt et
Luck Mervil revisitent de leur côté quelques classiques
du répertoire musical états-unien de l’époque
tels California Dreamin’ et Working for the Man.
Épaulé par l’excellent directeur photo Steve Asselin,
Francis Leclerc signe une facture visuelle des plus éblouissantes,
entremêlant habilement images d’une grande précision,
mouvements de caméra tout ce qu’il y a de plus frénétiques,
et séquences recréant à la perfection les prouesses
de vidéastes amateurs de nos parents et de la fameuse caméra
super-8. Le tout évoque évidemment avec éloquence
ces nombreux souvenirs d’enfance dominés par les chaudes
journées d’été à errer nonchalamment
dans les parcs, les vacances en famille à Old Orchard, et les
exploits à petite échelle dont nous nous rappelons toute
notre vie. Une candeur et une sincérité que le cinéaste
va également chercher chez une distribution des plus compétentes
au coeur de laquelle les plus expérimentés Patrice Robitaille
et Roy Dupuis guident avec aplomb un groupe de jeunes nouveaux venus
déjà très à l’aise devant les caméras.
Sous une trame narrative abondamment exploitée par le drame sportif
depuis déjà bon nombre d’années se terre
une réflexion sur la société (québécoise)
et la valeur idéologique du sport en général qui,
à défaut d’être nécessairement profonde
ou subtile, s’avère être bien moins naïve et
superficielle que celles proposées par la plupart des autres
essais du genre. Présenté au départ comme un lieu
immaculé synonyme d’échanges et de saine compétition,
le terrain de baseball ne sera jamais en mesure ici de faire tomber
les différentes inégalités existant en dehors de
ses limites. Bien appuyée sur la barrière qui les sépare,
la « classe ouvrière » observera l’élite
à laquelle elle rêve d’appartenir quand ce sera pourtant
de son côté que le jeu finira par prendre tout son sens.
Les joutes de l’équipe B se transformeront ainsi en fêtes
populaires dans lesquelles se côtoieront jovialement parents et
amis venus encourager leurs progénitures autour de barbecues
miniatures et de caisses de 24. Et si Marc Robitaille a parfois tendance
à illustrer son propos d’une manière peu nuancée
en diabolisant systématiquement la classe bourgeoise, ce dernier
utilise néanmoins habilement le contexte historique qu’il
dépeint pour justifier ses dires et ériger une morale
bon enfant sur l’identité et l’importance de rester
fidèle à soi-même et à ses convictions. Son
récit se terminera évidemment par un affrontement des
plus symboliques au cours duquel le scénariste se montrera étonnamment
rationnel, refusant toute illusion à son « petit peuple
» sans jamais se montrer défaitiste pour autant. Robitaille
et Leclerc permettront à celui-ci de sortir la tête haute
de ce match sans issu suite auquel les gains auront été
somme toute mineurs et vite oubliés, mais jamais ils ne pourront
être réfutés.
Version française : -
Scénario :
Marc Robitaille
Distribution :
Patrice Robitaille, Pier-Luc Funk, Jacinthe Laguë,
Roy Dupuis
Durée :
104 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
11 Août 2008