ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND (2004)
Michel Gondry
Par Jean-François Vandeuren
Dieu merci, il existe encore des scénaristes visionnaires de
la trempe de Charlie Kaufman! Après deux collaborations incontournables
avec le réalisateur Spike Jonze, une des grandes têtes
pensantes du cinéma actuel renoue cette fois-ci avec un autre
cinéaste réputé de l’univers du vidéo
clip, Michel Gondry. Véritable maître de l’image,
on lui doit d’innombrables trouvailles et prouesses visuelles,
dont le fameux effet «bullet-time», faussement attribué
aux frangins Wachowski. Après une première collaboration
(Human Nature) qui passa malheureusement inaperçue,
le tandem revient avec une comédie romantique psychédélique
qui se retrouvera assurément très haut dans la liste des
oeuvres cinématographiques les plus significatives de la présente
décennie.
Les instants oniriques composant le tout dernier éclair de génie
du scénariste nous transportent dans la tête de Joel Barish
(Jim Carrey). Après que son ancienne petite amie, Clementine
(Kate Winslet), ait utilisé impulsivement un procédé
nébuleux réussissant à l’effacer complètement
de sa mémoire, Joel décide d’utiliser la même
technique pour faire de même avec elle. Le problème est
qu’en cours de route, ce dernier désirera faire marche
arrière et tentera de garder au moins un dernier souvenir de
Clementine.
Sous le choc et ahuri sont probablement les meilleurs qualificatifs
pour désigner l’état d’esprit dans lequel
vous risquez de vous trouver en sortant de la salle. Tout cela avec
une envie folle d’y retourner immédiatement, comme pour
un manège nous amenant enfin vers de nouveaux horizons. Il est
également difficile de classer un tel délire. Il s’agit
d’un travail plutôt unique en son genre. Imaginez un mélange
concentrant les éléments de comédie romantique
nouveau genre de Punch-Drunk Love, aux meilleurs côtés
d’Adaptation. et de Being John Malkovich, avec
une structure encore plus éclatée que celle de Memento.
D’autre part, Kaufman vient complètement sortir des sentiers
battus la comédie romantique par une oeuvre extrêmement
humaine en plus d’être fort probablement la plus intéressante
et originale du genre (avec le Punck-Drunk Love de P.T. Anderson)
depuis bien des années. S’il s’agit d’un film
pouvant paraître un peu imposant au niveau du contenu, n'étant
pas ce qu’il y a de plus léger admettons-le, il faut bien
avouer d’un autre côté que l’opus de Gondry
et Kaufman ne fait aucunement les choses à moitié. Ce
voyage délirant traité de main de maître se développe
autour d’idées tout à fait fascinantes concernant
les rêves, la mémoire et la relation entre ceux-ci et les
sentiments humains. La dynamique du film est d’ailleurs articulée
en rapport avec celle des rêves éveillés et l’idée
d’un certain contrôle sur son subconscient. L’autre
partie de cette thématique tend à nous faire réfléchir
sur l’importance des souvenirs, puisque ces derniers sont des
éléments assez importants de ce que nous sommes. C’est
par les expériences passées et une méditation sur
ces dernières qu’on peut réellement évoluer.
Les effacer, c’est en même temps détruire une partie
de nous-même et d’un point de vue sentimental, l’histoire
se consacre également à la distinction entre les deux.
Dans cet ordre d’idées, Kaufman démontre que l’amour
n’est pas une faculté qui est automatique. Il ne s’agit
pas d’avoir les bons mots placés aux bons moments pour
se faire une place dans le coeur de l’autre.
D’un point de vue technique, le résultat est hallucinant.
Michel Gondry est sans contredit un grand de son art. Les effets visuels
employés pour montrer la déconstruction des souvenirs
du personnage de Carrey sont divins, jamais surexploités et se
renouvellent sans cesse. La mise en scène utilisant la technique
de la caméra à l’épaule mélangée
à la géniale direction photo nous donne des moments visuels
franchement hypnotiques. C’est d’une beauté telle
qu’on en a rarement vu. Si au cours des prochaines années,
le réalisateur d’origine française réussit
encore mieux à transiger son monde unique qu’il a développé
par le biais du vidéo clip en le faisant passer au grand écran,
on peut s’attendre à des aventures tout aussi ingénieuses.
La composition de l’univers musical est également assez
démentielle. La musique en vient parfois à modifier d’elle-même
le sens de certaines scènes.
Bref, Eternal Sunshine of the Spotless Mind vient confirmer
(une fois de plus) l’immense génie, inépuisable
espérons-le, de Charlie Kaufman. Comme c’est souvent le
cas pour ce genre de film, l’effort est toujours grandement récompensé
en bout de ligne. Un mélange survolté et extrêmement
bien dirigé. À quoi d’autre pouvait-on s’attendre
de la part d’un scénariste devenu synonyme de démolition
minutieuse des conventions et d’un réalisateur à
qui l’ont doit bons nombres des dernières trouvailles importantes
en matière de réalisation? Délires somptueux.
Version française :
Du soleil plein la tête
Scénario :
Charlie Kaufman, Michel Gondry
Distribution :
Jim Carrey, Kate Winslet, Kirsten Dunst, Elijah
Wood
Durée :
108 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
22 Mars 2004