EROS (2004)
Wong Kar Wai
Steven Soderbergh
Michelangelo Antonioni
Par Jean-François Vandeuren
À l’instar de ce que l’excellent Three…
Extremes fit pour le cinéma d’horreur, Eros
offrait au départ une prémisse des plus intrigantes dans
son approche de la sensualité et de l’érotisme au
cinéma. Une initiative qui ne se contentait pas non plus cette
fois-ci que du point de vue asiatique et élargissait ses horizons
en allant chercher une perspective américaine et européenne
sur le sujet. Et l’on n'a pas fait appel à n’importe
qui. La présence de Wong Kar wai, dernier grand spécialiste
des relations amoureuses au cinéma, ne surprendra évidemment
personne. De son côté, Steven Soderbergh nous aura aussi
fait part de séquences de séduction absolument magnifiques
auparavant dans Out of Sight et Solaris. Et pour terminer
ce portrait, l’Europe envoya l’une des figures importantes
de la vague néoréaliste italienne, Michelangelo Antonioni.
Mais malgré une liste de noms aussi imposante, Eros
ne repose pas sur le génie auquel nous aurions pu nous attendre,
même si la compilation en laisse paraître plusieurs traces
évidentes. Celle-ci se traduit ainsi par la réaffirmation
d’une approche parfaitement maîtrisée, mais qui commence
à être un peu redondante, une pièce de puzzle déjouant
toutes les attentes pour visiter davantage la comédie, et une
déception on ne peut plus amère.
Eros débute donc avec The Hand de Wong Kar
Wai. Le cinéaste chinois nous renvoie une fois de plus au cœur
du Hong Kong des années 60 pour y raconter la relation entre
une escorte de luxe et le tailleur à qui l’on confia la
tâche de confectionner toutes les robes de cette dernière.
Après une courte rencontre de nature sexuelle devant lui servir
d’inspiration, le temps passe et le jeune homme acquiert une réputation
de plus en plus enviable à son travail. À l’opposée,
la femme connaît des périodes de plus en plus difficiles.
On comparera évidemment ce segment au fameux In the Mood
For Love, dont il possède toute la finesse et le maniérisme
exceptionnel de la mise en scène sans toutefois aborder les mêmes
mouvements. Cette comparaison a également beaucoup à voir
avec la façon dont le cinéaste dépeint l’érotisme
et la sensualité de son récit qui ne s’opère
pas de façon explicite, mais est plutôt sous-entendue par
la gestuelle des deux principaux personnages. Cela donne lieu à
certaines séquences d’une rare intensité romantique
dont Wong Kar Wai est l’un des rares cinéastes à
connaître le secret. Même si ce segment apparaîtra
comme une pièce redondante de la filmographie récente
du réalisateur chinois, The Hand demeure malgré
tout la partie définissant le mieux l’exercice dans son
ensemble.
Steven Soderbergh enchaîne ensuite avec Equilibrium.
Dans ce segment, un homme stressé par son boulot visite un psychiatre
afin que ce dernier l’aide à trouver le sens d’un
rêve qu’il fait (d’une femme) pratiquement toutes
les nuits. Visuellement, le réalisateur américain nous
offre une fois de plus un spectacle particulièrement habile dans
son fonctionnement. D’ailleurs, ce dernier crée dès
le départ un contraste des plus pertinents entre la réalité
et le monde du rêve par le biais de la direction photo. Les séquences
en noir et blanc possèdent toute la classe d’un vieux film
hollywoodien des années 40, en plus de l’éclat des
couleurs poussées à leurs limites lors des fragments nous
présentant la femme en question. Ces séquences apportent
une touche de surréalisme particulièrement révélatrice
dans le contexte de l’effort. Il faut dire que l’approche
esthétique joue un rôle primordial quant au sens que Soderbergh
désire donner à son film. Le cinéaste utilise notamment
le montage pour aborder le monde du rêve d’une façon
similaire à celle qu’il avait employée pour suggérer
toute l’idée de la mémoire dans son brillant The
Limey. Suivant cette tangente, Soderbergh traite son récit
d’une manière assez originale, surtout en ce qui a trait
à la réelle identité du rêve et à
la manière dont sa résolution peut être obtenue.
Le cinéaste cerne également son sujet en se rapprochant
de l’humour satirique et déjanté et de l’ambiance
décontractée de ses efforts plus indépendants tels
Schizopolis et Full Frontal.
Le dernier segment intitulé The Dangerous Thread of Things
est la réelle déception de cette collaboration. Le film
de l’italien Michelangelo Antonioni présente un récit
confus tentant d’aborder le caractère dédoublé
de certaines relations amoureuses, mais il n’y parvient qu’à
moitié. Le cinéaste essaie tant bien que mal dans les
derniers instants de sauver une prémisse aussi vide qu’ennuyeuse
avec une touche un peu plus poétique, mais celle-ci ne compense
aucunement pour un récit jusqu’alors simplement sexuel.
D’ailleurs, Antonioni nous présente l’esquisse la
plus ouvertement érotique des trois efforts, mais également
la plus morne. À la limite, nous pourrions même définir
ce moyen-métrage comme un film pornographique haut de gamme,
pour ce qui est de la mise en scène. Mais en ce qui a trait au
récit et au jeu des comédiens, The Dangerous Thread
of Things ne vole souvent pas plus haut.
Malgré tout, Eros demeure une expérience réussie
en son genre, même si aucun des cinéastes invités
ne réussit réellement à repousser les limites de
son propre cinéma. En ce sens, Wong Kar Wai continue de faire
du Wong Kar Wai à la manière à laquelle il nous
a habitué depuis In the Mood for Love. Steven Soderbergh
effectue un joyeux pot-pourri de certaines des meilleures idées
de sa carrière pour un résultat vivifiant. Et le segment
de Michelangelo Antonioni vient terminer, sans inspiration, ce triplé
plutôt que de le couronner d’une main de maître. Dommage
que ces derniers n’aient pas profité plus ouvertement des
libertés qu’offrait cette occasion, comme Takashi Miike
l’avait fait de façon magistrale dans Three…
Extremes, par exemple.
Version française : -
Scénario : Wong Kar Wai, Steven Soderbergh, Michelangelo
Antonioni, Tonino Guerra
Distribution : Gong Li, Chang Chen, Robert Downey Jr. Alan Arkin
Durée : 104 minutes
Origine : États-Unis, Italie, Hong Kong
Publiée le : 5 Février 2006
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