A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

ENCOUNTERS AT THE END OF THE WORLD (2007)
Werner Herzog

Par Louis Filiatrault

Inutile d'être spécialiste pour se faire une petite idée de ce qui allume Werner Herzog. En effet, un bref regard à L'Énigme de Kaspar Hauser ou Fitzcarraldo suffirait pour détecter la fascination qu'a pu entretenir le cinéaste bavarois pour l'aliénation (délibérée ou non), l'inconnu et l'obsession sous toutes ses formes. C'est aussi cet univers thématique dont il s'est fait maître qui, encore aujourd'hui, rend chacune de ses manifestations précieuse, unique ; peu d'artistes parviennent à dénicher avec autant d'esprit les zones d'ombre auxquelles personne n'oserait songer, les énigmes les plus criantes sous les surfaces les plus lisses. Créateur compulsif, Herzog enchaîne les projets les plus divers, les réussites comme les échecs, et les inscrit dans le présent avant de tourner la page et repartir à neuf.

Encounters at the End of the World s'avère en ce sens une expérience on ne pourrait plus fructueuse. Appuyé par la chaîne Discovery, Herzog prit le cap de la mystérieuse Antarctique dans l'espoir d'y trouver un film. Ce qu'il en rapporta dépassa sans doute ses meilleures attentes, tant le matériel semble s'être prêté tout naturellement au jeu d'injections philosophiques propre à son cinéma.

Le cinéaste nous trimballe donc au village scientifique de McMurdo, situé à proximité du pôle sud magnétique. Tel un Guy Maddin nous accueillant dans son My Winnipeg, Herzog inscrit d'emblée le propos de son documentaire dans sa propre subjectivité. Nul besoin toutefois de recourir à mille et une couches de mise en abîme pour que l'appropriation prenne forme ; la seule voix de l'auteur, cassante, à la fois étrange et familière, suffit à instaurer un climat de suspension du réel filmé, un état de douce rêverie que les images seules ne sauraient constituer. Pourtant, la forme d'Encounters n'évoque pas l'onirisme des montages d'un Chris Marker. Bien au contraire, la force du travail d'Herzog à ce moment de sa carrière de documentariste est de passer par le compte-rendu routinier, le banal, pour mieux se rendre au merveilleux. Une distinction qui s'avère de plus en plus relative, l'un basculant vers l'autre d'une façon parfaitement naturelle (et d'autant plus imprévisible).

C'est à la poursuite du contexte entourant les stupéfiantes images sous-marines envoyées par son ami Henry Kaiser que Herzog s'est envolé pour l'Antarctique, nous explique-t-il ; si bien que lorsqu'il en revient plus tard à de pareilles visions, c'est à la seule étrangeté sauvage, prenante, déroutante de Mère Nature qu'il nous livre, nous laisse pondérer, s'éblouir. Il en ira de même des volcans et cavernes entourant le site, ou encore des chants bouleversants des phoques sous les glaces, que le cinéaste nous laisse intérioriser à plein loisir. Ce qui étonnera face à l'ampleur monumentale de telles sensations, c'est l'enquête humaine tout aussi engagée que l'auteur s'acharne à réaliser en guise de contrepoint. McMurdo est de toute évidence perçu par ses habitants comme un refuge pour les affranchis en tous genres: anciens prisonniers de guerre, passionnés de science-fiction, héritiers des rois aztèques, philosophes à leurs heures, linguistes désabusés, simples employés ayant développé un goût tardif pour l'aide humanitaire... Tous (et plus encore) défilent devant la caméra de Herzog avec leurs histoires et leurs blessures. Tous semblent partager un sentiment d'exclusion. Intelligents, ils ont choisi la voie de l'exil pour se rendre utiles à quelque chose.

Au propos assez mince des récents films, de types et de qualités variables, abordant le large thème de la marginalité (Into the Wild, Mister Lonely, Man on Wire...), Herzog apporte donc une réjouissante part de maturité. Dans son hommage à ces « rêveurs professionnels » (comme le formule si bien un opérateur de tracteur à l'esprit particulièrement poétique), le cinéaste n'a pas tenté le pari de la vénération, mais a bien voulu traquer les motivations profondes animant des esprits qui, comme lui, n'ont pas su se satisfaire d'une civilisation hostile. Son portrait cru de l'Antarctique et ses dérivations métaphysiques appuient leurs dires de façon solennelle, tout en documentant un microcosme fascinant, la justification même d'un exil risqué mais riche en récompenses. Mais son discours d'accompagnement et ses choix de montage n'en sont pas pour autant dépourvus d'humour, voire même de raillerie pure et dure, et c'est justement à travers ses glissements de la poésie la plus candide au constat le plus rude que Herzog parvient à captiver, à donner à son film essentiellement décousu une cohérence des plus surprenantes.

En ce sens, Encounters at the End of the World poursuit à merveille la démarche qui faisait la force du mémorable Grizzly Man de 2005: un esprit interrogateur, un goût pour les réponses partielles, un regard à la fois espiègle et inquiet, et surtout une réelle fascination pour les cas limites potentiellement dangereux. À cet égard, rien du présent film ne résume mieux le propos du réalisateur que cette image terrifiante, brève et pourtant si marquante, d'un manchot égaré s'engageant, pour Dieu sait quelle raison, sur le chemin désert de sa propre mort... La synthèse parfaite d'un film étonnant, singulier, recommandé au plus haut degré... Celsius!




Version française : Rencontres au bout du monde
Scénario : Werner Herzog
Distribution : Ryan Andrew Evans, Werner Herzog
Durée : 99 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 2 Janvier 2009