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Le Cinéma québécois
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2005
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2009

ELVIS GRATTON (1985)
Pierre Falardeau
Julien Poulin

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Le premier Elvis Gratton du duo Poulin/Falardeau se visionne tel un vieux documentaire animalier de l'ONF sur le colon macaque moyen franco-canadien d'Amérique. On peut presque entendre percer au travers du brouillard de la mémoire le mythique thème de ces idylliques odes à la faune de la forêt boréale en voyant se pointer pour la première fois à l'écran Elvis Gratton, ce magnifique spécimen d'une espèce sauvage que l'on voudrait en voie de disparition mais qui malheureusement semble faire preuve d'une endurance remarquable et d'une grande capacité d'adaptation aux divers climats politiques et socio-économiques que traverse la société québécoise. Oubliez ses deux suites un peu lourdaudes ou carrément mal fichues, le premier Elvis Gratton demeure l'authentique comédie satirique québécoise par excellence. N'acceptez aucun substitut à ce que l'on peut sans honte qualifier de classique culte de notre cinématographie nationale.

Ce qui distingue ce premier volet des aventures du plus typique des gros colons de l'Amérique francophone du Canada de ses successeurs et qui en explique la réussite et le charme à long terme, c'est le triste réalisme de ce personnage somme toute foncièrement crédible. À la différence de «l'hyper-colon» post-mondialisation de Miracle à Memphis, le Gratton qu'incarne si bien Poulin est un personnage non seulement crédible mais monstrueusement immortel. C'est en conservant l'authenticité de Gratton intacte que Falardeau lui donne tout son sens. Ce discours de fédéraliste économiste glorifiant le succès américain qu'il tient constamment ne veut pas encore disparaitre et traverse les générations tel une maladie. Preuve que les auteurs visaient juste, la satire fait encore mouche vingt ans plus tard. La caricature est grosse mais l'essence même du personnage est intacte. Tout y est, du mépris de la jeunesse idéaliste jusqu'aux petites magouilles de banlieue sous forme de politicaillerie opportuniste.

On peut difficilement parler dans le cas présent de finesse dans le propos, car il est évident que le film de Falardeau ne fait vraiment pas dans la dentelle. Cela étant dit, quelques scènes clés amusent non seulement par leur force de frappe et par leur efficacité saisissante mais aussi par une certaine subtilité dont elles font preuve. L'échange entre ce king de pacotille et un photographe, interprété par Falardeau lui-même, demeure un moment d'anthologie où le film distille tout le grotesque de ce méprisable personnage en une seule et même farce d'une remarquable éloquence. Le célèbre discours télédiffusé d'Augusto Ricochet écorche la politique étrangère américaine en Amérique du Sud sans oublier de ridiculiser cette obsession de l'autorité qu'entretiennent les Gratton de ce monde.

Bien sûr, la forme de l'ensemble laisse quelque peu à désirer. Elvis Gratton n'est en fait même pas un film, mais plutôt l'assemblage l'un à la suite de l'autre de trois courts métrages: Elvis Gratton, Les vacances d'Elvis Gratton et Pas encore Elvis Gratton. Ces origines expliquent la nature fragmentée de ce qui se limite en fin de compte à une simple collection de sketches inégaux mettant en vedette un archétype merveilleusement bien campé. Réalisé sans grande ingéniosité, le film de Falardeau ne se démarque pas par sa grande beauté. Mais lorsque le sujet est si laid, le contenant peut se permettre de l'être un peu...

De cet homme vulgaire qui rêve de «vendre bin du gaz» et refuse obstinément de perdre ses belles rocheuses, le Québec moderne a encore plusieurs leçons à tirer. Contre-exemple fermement implanté dans la conscience collective de tout ce qu'il faut éviter pour espérer arriver un jour à un établir Québec sain, Elvis Gratton demeure notre cauchemar le plus réel et le plus terrifiant. On pourra toujours accuser Falardeau et Poulin de s'en être pris à une cible facile en la personne de ce roi du kétaine qui va se faire griller la bedaine à Santa Banana. Mais leur film demeure une critique mordante, méchante et fondamentalement juste d'une certaine réalité québécoise. Certains rejetteront éternellement le film de Falardeau sous prétexte qu'il manque de doigté, mais il n'en demeure pas moins que l'on a affaire à un vrai classique de la comédie québécoise dont l'humour fonctionne toujours et dont le commentaire demeure pertinent.




Version française : -
Scénario : Pierre Falardeau, Julien Poulin
Distribution : Julien Poulin, Denise Mercier, Pierre Falardeau, Yves Trudel
Durée : 89 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 23 Juin 2005