ELEPHANT (2003)
Gus Van Sant
Par Louis-Jérôme Cloutier
Après Michael Moore, Gus Van Sant s’inspire de la tragédie
de Columbine. Ayant remporté, à la déception d’un
certain Denys Arcand, la Palme d’or du meilleur réalisateur
et du meilleur film à Cannes, on s’attend à voir
ce qu’il y a de meilleur en terme de cinéma. Justement,
Elephant n’est pas vraiment un film, c’est une
oeuvre incroyable. Elle se laisse regarder, on en tire mille et une
analyses, mais jamais elle ne cherche à créer un effet
précis identifiable. Pour citer un personnage, « jamais
je n’ai vu un aussi beau jour être aussi horrible »
et jamais autant de questions ont traversé mon esprit à
propos de la société dans laquelle j’évolue.
Loin du film engagé, Elephant se veut un portrait qui
laisse au spectateur le soin de se bâtir lui-même un jugement.
Aucune quête de morale ou de vérité ne vient être
exposée par le film, on assiste plutôt à un spectacle
froid, mais qui nous attache. Avec sa caméra, Van Sant suit dans
les dédales d’une sorte de labyrinthe, les jeunes d’une
école secondaire des États-Unis. Il nous les dévoile
comme des gens normaux qui ne le sont pas vraiment. Quel est le but
recherché? Difficile de le saisir. Chose certaine, une fois le
film terminé, on reste attaché à notre siège,
encore captivé par les évènements. Car la plus
belle qualité de Van Sant est de laisser planer des doutes dans
notre tête. Est-ce que ce que je viens de voir est acceptable
à mes yeux? Est-ce que cette situation est normale? On ne peut
qu'en déceler certaines lignes directrices tracées par
le réalisateur afin de tout de même communiquer, d’une
certaine façon, sa vision. Il offre en quelques secondes une
image bien plus frappante que des centaines de discours pour s’opposer
à la vente libre des armes à feu. D’autres images
encore nous étonnent et on cherche à en capter le sens
en finissant par comprendre qu’il y a plusieurs interprétations
possibles et que chaque fragment possède une signification qui
lui est propre.
Mais le lyrisme et la poésie sont les pierres angulaires du film.
Baignant dans du Beethoven, la structure explore les différents
points de vue afin de montrer la scène sous tous les angles.
La routine est banale et Van Sant laisse planer cette impression en
gardant de longs plans fixe sur les personnages ou en les suivant dans
les corridors. Étant presque entièrement composé
de véritables élèves, le réalisme et la
dureté des situations s’en trouvent augmentés. En
même temps, s’attendant au pire, on reste fixé, bouche
bée devant la fragilité des évènements et
leur imprévisibilité. Le surréalisme vient parfois
prendre place, souvent lorsque nous sommes en présence des deux
tueurs, dont Alex est la pièce centrale de l’échiquier.
Prisonnier d’un monde qui n’est pas le sien, il n’arrive
pas à supporter ce qui l’entoure. Une fois qu’il
arrive à reprendre le contrôle par les armes, ce monde
devient le sien, il en est roi. Les personnages deviennent rapidement
l’expression de la société. Elephant, c’est
l’affrontement entre deux mondes, c’est l’Occident
contre l’Orient. Montrer les yeux grands ouverts ce que tous refusent
de constater, peut-être est-ce la raison d’être du
film. Peut-être est-ce également l’impossibilité
de connaître les véritables causes d’évènements
aussi tragiques. C’est pour cette raison qu’on ne peut quitter
immédiatement les yeux de l’écran lorsque le générique
se met à défiler. Tant de questions nous sont soulevées
par ces images ; la beauté du cinéma prend tout son sens.
Magnifique, ingénieux, fascinant, le film de Gus Van Sant est
tout cela. Il amène à réfléchir, à
revoir la vision du bien et du mal. Sans contenir beaucoup de mots,
son oeuvre s'exprime par l'image. L’audace dont il fait preuve
et sa capacité à capter les évènements sans
jamais s’y impliquer émotionnellement font de lui un grand
réalisateur que l’on n’avait pas vu depuis fort longtemps.
Génial.
Version française :
Éléphant
Scénario :
Gus Van Sant
Distribution :
Alex Frost, Eric Deulen, John Robinson, Elias McConnell
Durée :
82 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
16 Novembre 2003