ELDORADO (1995)
Charles Binamé
Par Jean-François Vandeuren
Nous avons cette manie au Québec de ne jamais célébrer
à outrance l’héroïsme à travers nos
personnages de fiction, mais plutôt de les confondre d’une
manière souvent troublante de réalisme aux misères
du quotidien, aux hésitations et remises en question face à
ces situations qui nous échappent. Eldorado est un projet
qui gravita dans la tête du réalisateur Charles Binamé
durant plusieurs années avant sa mise en chantier, lequel s’est
finalement concrétisé au milieu des années 90.
Étrangement, l’effort de Binamé arriva juste à
temps pour faire état d’une génération se
cherchant elle-même suite aux excès des années 80.
En musique comme au cinéma et dans la vie de tous les jours,
il était temps pour tous de renouer avec un mode de vie moins
extravagant. Se forgèrent ainsi de nombreuses œuvres scrutant
les moindres recoins de l’âme humaine à la recherche
d’une logique dans la noirceur, donnant lieu à l’essor
d’un génie créatif plus éveillé socialement,
mais dont la forme se voulait également plus sale. Le film de
Binamé nous confronte dans cet état d’esprit au
portrait d’une génération confuse, attendant le
retour de l’équilibre pour le meilleur, mais craignant
aussi le pire.
Son film accorde en ce sens une place prépondérante à
ses six personnages principaux, lesquels se demandent, pour des raisons
bien distinctes, quoi (et surtout comment) faire pour composer avec
leur environnement et ces gens qui les entourent. Roxan (Isabel Richer)
apportera par exemple une aide abusive aux plus démunis, quitte
à sacrifier sa propre vie pour tenter de changer une réalité
souvent difficile à accepter. Alors que de son côté,
le personnage de l’animateur radio Lloyd, interprété
par le toujours excellent James Hyndman, prendra les traits d’un
narrateur qui ne sont pas bien loin de ceux que l’on attribue
normalement à Dieu, tentant de provoquer une population somnolente
sans nécessairement savoir comment s’en rapprocher lui-même.
Une opportunité que le cinéaste a su utiliser à
bon escient en le confinant à quelques reprises à l’intérieur
de son studio grâce auquel il peut devenir omniprésent
dans les rues et logements de la métropole. Binamé parvient
également à remettre subtilement en contexte ce vieil
affrontement entre des valeurs plus conservatrices et l’attrait
pour la modernité, y révélant une complexité
dans laquelle tous devront apprendre à se serrer les coudes pour
s’en sortir et ce, malgré les incidents et leurs différents.
Voilà pourquoi ce ne sera pas nécessairement une fin heureuse
qui les attendra au détour.
Eldorado nous convit également à l’une
des réalisations les plus habiles de Charles Binamé, nous
offrant un effort visuellement senti et orchestré de manière
surprenante vue les moyens plutôt limités mis à
la disposition du cinéaste, et la simple utilisation d’une
caméra à l’épaule et de l’éclairage
naturel. Le tout donne pourtant lieu à des cadrages réussis,
emprisonnant à répétition les différents
personnages dans leur environnement, et des couleurs éclatantes
que le réalisateur québécois s’amuse à
coder de manière symbolique pour y refléter les états
d’âmes de ses sujets. Un souci du réalisme brillamment
mis en scène qui s’entrecroisent parfaitement à
la touche plus onirique que le cinéaste tend à installer,
juxtaposée d’une musique généralement grinçante
et industrielle, à l’image des idées et réactions
des personnages de son film : saccadées, bruyantes et imprévisibles.
Charles Binamé signe donc discrètement un portrait surprenant
et ludique des facettes les plus sombres de la vie urbaine, tout en
sachant se montrer un peu plus démonstratif le temps venu. La
plus belle réussite de ce dernier dans ce cas-ci demeure la façon
dont il parvint à accorder à chacun de ses personnages
d’avant plan une importance et un rôle particulier sans
qu’aucun ne paraisse sous-développé. Il aura également
eu la brillante idée de laisser toute la place aux acteurs, leur
donnant le soin d’improviser devant une caméra qui ne semble
souvent plus y être. Une distribution étincelante qui vient
pour ainsi dire créer l'équlibre dans une mise en scène
déjà admirable.
Version française : -
Scénario :
Charles Binamé
Distribution :
Pascale Bussières, Robert Brouillette, James
Hyndman
Durée :
104 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
29 Juin 2005