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DUEL (1971)
Steven Spielberg

Par Jean-François Vandeuren

Quelques années avant Jaws, Steven Spielberg amorçait finalement sa carrière de façon sérieuse avec un exercice de style mettant en scène un tout autre genre de monstre, dont les traits métalliques servaient à dissimuler la folie parfois meurtrière de l’homme. Duel débute lorsqu’un homme d’affaire, David Mann, circule normalement sur les routes californiennes pour se rendre à un rendez-vous important. Après avoir dépassé un camion-citerne qui lui crachait sa vapeur nauséabonde au visage, le conducteur du mastodonte en question se servira de son véhicule afin d’entraîner David dans une série d’attaques physiques et de jeux psychologiques de plus en plus menaçants.

Diffusé initialement à la télévision américaine en novembre 1971, Duel fut si populaire qu’il obtint finalement une sortie en salles dans certains pays quelques années plus tard. Le succès d’une telle entreprise s’expliqua principalement par la manière dont Spielberg réussit à reprendre et à trafiquer certaines caractéristiques du cinéma d’Alfred Hitchcock, en particulier ceux de Rear Window, sans nécessairement chercher à en imiter la mise en scène. Le jeune réalisateur limita ainsi le spectateur à un espace plutôt restreint (ou presque), les routes désertiques de la Californie et la voiture de David Mann dans le cas présent, tout en cherchant à exploiter tout le potentiel de cette prémisse pour garder le public en haleine jusqu’à la toute fin.

À priori, le but du cinéma de Spielberg n’est pas nécessairement d’offrir de profondes réflexions philosophiques sur le sens de la vie plus que des expériences cinématographiques intelligentes et d’une redoutable efficacité. Et dans le cas de Duel, ce pari est remporté haut la main. Le cinéaste américain parvient ainsi à nous garder dans un état constant de stress en articulant son suspense autour d’une situation qui pourrait arriver au plus commun des mortels. David Mann est alors confronté malgré lui à la carcasse métallique et crasseuse de ce monstre qui crache sa vapeur et s’approprie complètement une route devenant de plus en plus étroite. La tension dans le film s’opère également à travers le développement du personnage principal. Il faut dire que le jeu on ne peut plus intense de Dennis Weaver dans la peau d’un homme ordinaire au bout de ses ressources supporte parfaitement cet aspect du film. Mais cela donne par contre lieu à une utilisation aussi adroite qu’abusive de la voix off. L’effort renvoie aussi au caractère inquiétant des longues routes désertiques des États-Unis où ont parfois lieu des événements étranges, voire effrayants, mais sans jamais chercher à en faire des généralités. Tobe Hooper renouvellera d’ailleurs cette idée dans The Texas Chainsaw Massacre à peine trois ans plus tard.

La facture visuelle de Spielberg se révèle aussi énormément de circonstance et n’a absolument rien à voir avec l’habituelle réalisation complètement anonyme des téléfilms. On pensera en ce sens aux premiers plans de l’effort filmés de la perspective de la voiture de Mann. Celle-ci sillonne alors tranquillement les rues de la banlieue avant d’arriver en ville et de finalement s’engager sur les longues routes de la Californie. La façon dont s’orchestre le montage et la composition des plans est d’ailleurs assez surprenante et joue un rôle primordial en ce qui a trait aux atmosphères claustrophobes que génère le film. Spielberg joue par contre de patience lors de l’élaboration des scènes à suspense comme Hitchcock savait si bien le faire. Il faut dire que Spielberg est devenu de bien des façon le descendant direct du cinéaste britannique pour ce qui est de l’efficacité dramatique. Duel rend d’ailleurs hommage à ce dernier par le biais d’une trame sonore dont les notes aiguës s’apparentent étrangement à celles de Psycho.

Duel se veut encore de bien des manières le film de Steven Spielberg où ce dernier se montra le plus impitoyable. Une caractéristique qui n’avait pas été totalement évacuée dans Jaws, mais qui s’évapora progressivement pour que la boucle soit toujours bouclée à la manière hollywoodienne, même si cela signifiait terminer une œuvre de façon plus ou moins appropriée. Un point qui aurait pu facilement gâcher la présentation du conducteur du camion et ainsi empêcher Duel de présenter aussi justement le caractère anonyme d’un cas de rage au volant. Heureusement, Spielberg mena cette idée jusqu’à une finale qui parle d’elle-même de par son manque de clarification, accentuant du même coup la portée psychologique du personnage de David Mann. Duel demeure donc encore aujourd’hui l'un des meilleurs exemples de l’agilité de Spielberg à si bien combler un manque de substance par ses grands talents de raconteur.




Version française : Duel
Scénario : Richard Matheson
Distribution : Dennis Weaver, Jacqueline Scott, Eddie Firestone, Lou Frizzell
Durée : 89 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 31 Janvier 2006