DREAM (2008)
Kim Ki-duk
Par Mathieu Li-Goyette
Créateur isolé depuis les années 90, la carrière
de Kim Ki-duk appartient à son propre talent et à sa notoriété
qui, bien qu’ayant toujours évolué en Corée,
n’a rien avoir avec la nouvelle vague coréenne des années
2000. Tout à fait originale, la démarche de Ki-duk n’a
cependant que peu changée. Intéressé par un certain
réalisme poétique postmoderne, le personnage ki-dukien
est celui vidé de toute existence. Léger, invisible, à
part d’un monde en crise dans lequel le cinéaste a presque
totalement renoncé de tourner depuis le début du millénaire,
l’autobiographie est importante pour le cinéaste, voire
essentielle au développement de son talent confirmé année
après année à la suite de productions de grande
qualité. Perplexe idée qu’est de donner comme titre
de son dernier film « Rêve », l’idée
n’est pourtant pas sans laisser sa part de réflexion à
la compréhension de l’oeuvre. Dense, complexe, le réalisme
poétique bien de sa griffe envoûte ses protagonistes amoureux
Jin et Ran (que l’on devrait prononcé dans un équivalent
non loin de Yin et Yan) eux-mêmes les catalyseurs d’un environnement
puisant son décorum à même leurs sentiments. Plongé
dans le subconscient et dans les situations impossible, Dream
est un essai cinématographique splendide sur la puissance du
désir et la perte de contrôle qu’il inflige aux coeurs
brisés.
Dans un monde complètement à part, Dream met
en scène les tribulations de Jin (le brillantissime acteur japonais
Jô Odagiri) alors qu’il s’aperçoit à
ses dépens que les rêves qui le hantent depuis que sa copine
l’a laissé affectent directement les actions de Ran, une
femme somnambule qui vient de laisser un tout autre compagnon de vie.
Reliés que dans le désir intense qui peuple leurs rêves,
à savoir le rejet d’une personne et la reconquête
d’une autre, l’explication logique d’un tel phénomène
est complètement écartée, voire ridiculisée,
par une psychiatre aux allures de charlatan. Désirant prendre
son spectateur par surprise, c’est plutôt le cinéaste
qui établi d’hors et déjà les règles
de son petit jeu amoureux. Dès qu’il s’endort, elle
se réveille et poursuit les rêves de ce dernier (en l’occurrence
aller faire l’amour à son ancien amoureux) tandis qu’à
l’inverse, le sommeil de Ran n’offre aucun effet secondaire
à la condition de sa nouvelle âme soeur. Le rire devient
épisodique alors que l’un s’attache à l’autre
tandis que l’un jouit, l’autre répugne. De cette
opposition au caractère simpliste naît pourtant une brillante
mise en opposition entre ce yin et ce yan, cette Coréenne qui
parle coréen et ce Japonais qui parle japonais. Aucune difficulté
à se comprendre, les deux sont à l’unisson jusqu’à
l’épilogue où le symbolisme du papillon, de l’éphémère,
les rattrape pour un premier, dernier et seul baiser.
Ces personnages ne sont pas des héros, peut-être qu’ils
ne sont même pas non plus des personnages, mais plutôt des
avatars du cinéaste prêt à agir selon une conscience
menée par le rêve et donc le subconscient. Au-delà
de leurs rêves, c’est la symbiose forcée qui unit
un rêveur à son fantasme qui détruit l’esprit
de Jin. D’autant plus que Ran semble être prisonnière
de ses pensées lorsqu’elle est éveillée,
c’est enfin l’existence du personnage féminin qui
est remis en cause à travers une série d’indices
volontairement flous; Ki-duk n’est pas du genre à façonner
le suspense ou la collecte d’informations éparses. Faisant
donc tourner ses intérêts autour de deux opposés,
la conclusion qui en sort est aussi généreuse qu’elle
ne l’était dans 3-Iron ou Printemps, Été,
Automne, Hiver, Printemps. Jan meurt, Ran se transforme en papillon.
L’un dans un désert de neige, l’autre en sortant
d’une chrysalide complètement abstraite, la réunion
des deux êtres convoque la (re)naissance d’un amour qui
avait été brièvement suggéré, jamais
explicité. Âmes soeurs dans cette vie, le bouddhiste Ki-duk
propose au final qu’ils se retrouveront dans leur réincarnations
prochaines et nous confirme donc qu’il vient de réaliser
un film sur une rencontre amoureuse ayant eu lieu dans une vie antérieure;
rien de moins dans le cinéma cyclique de l’auteur coréen.
Ceci étant dit, Dream n’a peu ou pas de défaut,
si ce n’est la complexité du concept qu’il tente
de mettre de l’avant. Doté d’un scénario inventif,
comique à ses instants et tragique en cas de crise, une certain
indécision plane quant à savoir le propre des personnages
secondaires et on a tôt fait d’y voir une rangée
d’accessoires permettant aux deux produits vedettes (Odagiri et
Lee) d’étaler le talent que l’on leur reconnaît.
Les relations se développent dans l’esprit de ceux-ci tandis
que la séduction tient lieu de nombreux combats silencieux où
le non-dit, en plus de son usuel mandat de provoquer le malaise, confirme
ponctuellement l’existence d’une destinée commune
et d’une compréhension au-delà de leurs affinités
artistiques (l’un est sculpteur, l’autre couturière)
et émotionnelles. Souhaitant visiblement trouver à ses
amoureux les oppositions les plus impossibles (la langue, le comportement,
le statut marital), Ki-duk signe ici une 15e oeuvre singulière
qui, au risque de ne pas apparaître comme sa plus maîtrisée,
réaffirme un goût certain pour l’analyse des comportements
humains à travers l’interprétation bouddhiste de
notre univers. Un film rafraîchissant et unique qui ne manque
pas non plus de résonance au sein de son cinéma national
plongé dans sa propre schizophrénie, Dream oppose
des identiques à l’adversité mésentendue
avec en lui le seul désir profond de prouver l’absurdité
d’un conflit passionnel. Ce n’est qu’ensuite, trop
respectueux pour s’avancer vers des conclusions avant de nous
avoir fait par de son protocole démonstratif, qu’il est
en mesure d’y forcer une réconciliation légitime.
Version française : -
Version originale :
Bi-mong
Scénario :
Kim Ki-duk
Distribution :
Lee Na-yeong, Jô Odagiri, Jang Mi-hie, Kim
Tae-hyeon
Durée :
95 minutes
Origine :
Corée du Sud
Publiée le :
20 Juillet 2009