DRAG ME TO HELL (2009)
Sam Raimi
Par Laurence H. Collin
L’incrédulité des admirateurs de Sam Raimi face
à son nouveau projet aura débuté dès l’annonce
officielle de son titre : Drag Me to Hell. Un doute s’installe
tranquillement : le réalisateur derrière la diabolique
trilogie Evil Dead avait-t-il vraiment l’intention de
retourner à ses sources? Car après une fournée
de projets décidément plus convenus (mais non moins aboutis)
tels que The Gift, A Simple Plan, For the Love
of the Game et, bien sûr, la trilogie Spider-Man,
le public était bien en droit de croire que l’enfant terrible
ne montrait plus grand intérêt pour le spectacle d’horreur
grand-guignolesque. Vinrent ensuite des nouvelles peu rassurantes: le
désistement de l’actrice principale (auparavant Ellen Page),
de très mitigés premiers aperçus du scénario
et enfin, la confirmation d’un classement de contenu PG-13, soit
« interdit aux moins de 13 ans » chez nos voisins du Sud…
ce qui représente souvent dans l’horreur un gage de frissons
déficients, mais permettant un plus large public. Il aura fallu
attendre jusqu’aux projections spéciales de minuit au Festival
de Cannes de cette année pour entendre les premières impressions
journalistiques - et celles-ci ce sont avérées très
favorables. Le soulagement s’installe, puis l’anticipation
prend peu à peu sa place : est-ce que Drag Me to Hell
est pour Raimi un retour à la hauteur des attentes?
Pendant presque une vingtaine de minutes entamées par un bien
tiède prologue, on pourrait trouver matière à préjuger
une sorte de farce complaisante. La façon dont Raimi et son frère
co-scénariste Ivan placent leurs pions sur l’échiquier
n’a rien d’exceptionnel, et l’humour noir ne réussit
pas tout à fait à alléger l’introduction
un peu trop académique. Nous sommes ainsi introduits à
Christine Brown (Alison Lohman), jeune et ravissante conseillère
bancaire visant à obtenir une promotion au travail. Si elle semble
être une candidate suffisamment ressourcée pour le poste
d’assistante gérante, son manque de rigueur et sa forte
sensibilité ne fonctionnent pas à son avantage aux yeux
de son patron (David Paymer). C’est lorsque se présente
une misérable et dégoûtante vieille gitane, Sylvia
Ganush (Lorna Raver), demandant un troisième délai de
paiement pour son logis que la compassion de Christine est mise à
l’épreuve. Elle refusera donc de lui venir en aide. Cette
décision lui coûtera bien cher, car notre héroïne
se verra ensuite affligée de la malédiction du Lamia,
esprit cruel tourmentant ses victimes pour trois jours pour ensuite
les tirer jusqu’aux flammes de l’enfer. Avec l’aide
de son copain sceptique (Justin Long), Christine tentera coûte
que coûte de se débarrasser de cet impitoyable sacrilège,
peu importe les épreuves et sacrifices se présentant sur
son chemin…
Durant son visionnement, ceci est indéniable : Drag Me to
Hell décolle véritablement dès la scène
où l’on voit notre protagoniste se faire vicieusement assaillir
par la gitane furieuse à l’intérieur de sa voiture.
D’une efficacité redoutable autant au plan de l’adrénaline
que du timing comique, Raimi empile dans ce moment jouissif
ses tactiques affolantes et ridicules avec un enthousiasme contagieux.
Si le mariage du rire et de l’effroi dans le genre n’est
pas inédit, même si les plus récents bons exemples
datent maintenant quelque peu (Severance, Shaun of the
Dead, etc.), on peut constater que l’on procède ici
plutôt différemment de la plupart des projets qu’on
serait susceptible de lui affilier. En effet, là où certaines
oeuvres d’apparence similaires dosent leurs frissons et leurs
blagues presque toujours à part, celle de Raimi touche très
souvent les deux notes simultanément. Comme quoi le rire et la
nervosité ne sont jamais très loin… Le résultat
de cet amalgame? Un formidable théâtre grotesque et joyeusement
malsain, chargé à bloc d’idées conceptuelles
franchement débiles et presque exempt de bourrage narratif si
souvent pénible dans l’épouvante moderne. Même
lors de certaines scènes très dialoguées (et surtout
plus fonctionnelles que sensationnelles par rapport au récit),
Raimi décroche de fortes réactions en alliant son humour
grinçant à l’observation de ses personnages. Le
feu roulant qu’est Drag Me to Hell aurait bien pu ne
pas être, point, avec seulement de bonnes scènes de terreur
en poche. Heureusement, la récréation garde son rythme
trépidant jusqu’à la dernière seconde dès
qu’elle prend son envol, largement dû à cet équilibre
judicieux.
C’est seulement après la projection que l’on pourra
savourer le témoignage presque subliminal sur l’esprit
capitaliste que le réalisateur confère à son oeuvre.
Non seulement ravi de carrément jouer au ping-pong avec la pitié
du spectateur envers l’héroïne (et aussi de camper
son histoire en pleine crise économique), ce dernier suggère
que le seul moyen de survie de Christine est d’adopter la mentalité
barbare de son institution, avec les conséquences que cela impliquera.
Si le personnage de Lohman est d’abord introduit comme admirable
et pleine de compassion, on s’apercevra, peu à peu, que
sa moralité lorsque menacée est loin d’être
aussi blanche que l’on le pensait. Cette ambiguïté
particulière donne beaucoup de teneur à l’ensemble,
menant ainsi à des circonstances à la fois hilarantes
et dérangeantes comme celle dans laquelle on voit Christine errer
dans un café, hésitant à qui elle pourrait transférer
son sort abominable. « Qui pourrait bien mériter ça?
», se demande-t-elle. On entend presque l’écho du
ricanement de Sam Raimi… Si la présence d’un sous
texte étonnamment assez étoffé impressionne, on
ne pourra pas en dire autant de la faible logique interne du scénario.
Loin d’atténuer le rythme trépidant du film, les
incohérences (spécialement en ce qui a trait à
la malédiction titre) sont cependant plus qu’occasionnelles,
et parfois même un peu bébêtes. Heureusement, les
revirements hâtifs ne prennent jamais le dessus sur l’imagerie
satanique et les staccatos de la trame sonore tonnante et raffinée,
signée Christopher Young.
Ce sont plutôt les personnages qui font bonne impression dans
l’écriture, en commençant par le rôle principal.
Établie comme « country girl » complexée
par son enfance et le surpoids qu’elle possédait à
l’époque, Christine Brown est un être résolument
tridimensionnel dont la présence fait changement des proprettes
ingénues qui font tête d’affiche des productions
du genre. Ses déboires sont bels et bien présents pour
la totalité du récit, ajoutant nuance et taquinerie à
l’ensemble lors des scènes où Christine est confrontée
à elle-même. À cet égard, le souper qu’elle
partage avec ses futurs beaux-parents très distingués
ne lui réserve aucune pitié. Le personnage est très
bien défendu par Lohman, jeune comédienne encore en attente
de son « grand rôle ». Elle pourrait fort bien l’avoir
trouvé avec Drag Me to Hell, film lui réservant
à la fois une belle gamme d’émotions à extérioriser
et toutes sortes d’humiliations répugnantes à subir.
Secondée par un Justin Long complice et la performance très
physique de Lorna Raver, elle et le reste de la distribution parviennent
à accoter une réalisation vigoureuse et de bon coeur.
Si l’expression « comme un tour de montagnes russes »
à l’égard des films à sensations fortes est
usée à la corde, on ne pourrait trouver un film récent
la méritant autant. Orchestrant d’abord une montée
stratégique pour ensuite lâcher le spectateur dans une
descente effrénée, Drag Me to Hell est, en tant
que divertissement populaire, l’alternative rêvée
aux géantes baudruches d’action envahissant les écrans
chaque vendredi. C’est aussi un retour en force pour Sam Raimi,
qui semble aller chercher le meilleur autant dans les films de quasi-exploitation
de sa jeunesse que dans ses productions léchées du nouveau
millénaire. Mais surtout, c’est une bouffée d’air
frais salvatrice dans le genre après un début d’année
surchargé de « remakes » très peu inspirés
(Friday the 13th, Last House on the Left, My Bloody
Valentine 3D) et de nouvelles moutures ronflantes (The Unborn,
The Haunting in Connecticut, etc.). Peut-être qu'à
ce jour, la meilleure façon d’affronter la terreur au cinéma
est avec un rictus sur les lèvres; la recette est empruntée,
mais l’exécution demeure tout à fait délicieuse.
Toute résistance est futile.
Version française :
Malédiction de l'enfer
Scénario :
Sam Raimi, Ivan Raimi
Distribution :
Alison Lohman, Justin Long, Lorna Raver, Dileep
Rao
Durée :
98 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
17 Juin 2009