DOOMSDAY (2008)
Neil Marshall
Par Jean-François Vandeuren
Avec The Descent, le Britannique Neil Marshall proposait un
hommage subtil et particulièrement senti à l’extraordinaire
Alien de Ridley Scott, recréant d’une main de
maître l’atmosphère tendue et suffocante du film
de 1979 tout en demeurant assez fidèle à ses thématiques
et à certaines de ses tournures dramatiques. Si le réalisateur
se sert à nouveau de sa connaissance aiguisée des classiques
du cinéma de genre pour orienter la trame narrative de son film,
ce dernier se présente cette fois-ci sous un jour beaucoup moins
maniéré, et surtout beaucoup plus gourmand. Ayant à
sa disposition un budget de plus de trente millions de dollars pour
arriver à ses fins, soit trois fois la somme avec laquelle il
avait dû composer pour réaliser ses deux premiers longs-métrages,
Marshall se paya le luxe de s’approprier certaines séquences
clés des films de science-fiction ayant bercé son adolescence
et de les repositionner à l’intérieur d’un
récit assourdissant et complètement déjanté.
Doomsday nous plonge ainsi au coeur d’un futur apocalyptique
dans lequel un virus mortel décima la quasi-totalité de
la population écossaise. Alors que les autorités croyaient
avoir enrayé la menace en érigeant une immense muraille
autour de la zone contaminée, voilà que de nouveaux cas
d’infection se manifesteront un peu partout à travers le
Royaume-Uni près de vingt-cinq ans après la première
épidémie. Ayant récemment découvert la présence
d’activités humaines sur le territoire maudit, le gouvernement
anglais enverra un petit groupe de soldats en reconnaissance afin de
percer le secret de l’immunité des derniers survivants.
Le bataillon sera évidemment accueilli par une populace on ne
peut plus hostile, et surtout prête à tout pour venir à
bout de son envahisseur. C’est d’ailleurs sur ce plan que
le film de Neil Marshall se distingue le plus des autres productions
s’inscrivant dans cette étrange vague de films de fin du
monde ayant vu le jour au cours des dernières années.
Si le réalisateur britannique se montre certes opportuniste,
et ce autant au niveau de la forme que du fond, Doomsday évoque
néanmoins beaucoup plus le chaos ambiant du Escape From New
York de John Carpenter que la virulente zombification du 28
Days Later de Danny Boyle. L’effort prendra toutefois une
tournure pour le moins inattendue lorsque Marshall commencera à
utiliser la trame narrative du film de 1981 pour guider ses propres
élans à travers une suite de reproductions particulièrement
fidèles de diverses séquences provenant d’oeuvres
bien spécifiques. Si l’initiative ne produit pas forcément
les effets escomptés au premier abord vue la nature bien distincte
de chacune des scènes falsifiées par l’auteur de
Dog Soldiers, toutes les pièces de cet ambitieux casse-tête
finissent malgré tout par s’emboîter d’une
manière évidemment quelque peu inégale, mais qui
n’est fort heureusement jamais vide de sens. Le cinéaste
jouera également de finesse en canalisant toutes ses influences
à travers sa protagoniste - dont les traits furent judicieusement
confiés à la fougueuse et charismatique Rhona Mitra -
pour en faire une sorte d’hybride entre le je-m’en-foutisme
assumé de Snake Plissken, la force féminine d’Ellen
Ripley et l’apparence physique d’Aeon Flux.
Le Britannique se servira d’ailleurs de sa masse de survivants
écossais à des fins similaires en puisant chacune de leurs
caractéristiques à même celles de leurs homologues
cinématographiques issus des différentes oeuvres citées
par Marshall, que ce soit la bestialité des créatures
du Aliens de James Cameron, la brutalité des prisonniers
d’Escape From New York, ou la tribalité des motards
du Road Warrior de George Miller. Malheureusement, la logique
fragmentée que le cinéaste avait réussi à
imposer sur papier n’est pas toujours retranscrite avec autant
de précision à l’écran, faisant de Doomsday
l’une de ces rares bizarreries dans laquelle tout fonctionne et
rien ne marche à la fois. Il y a pourtant bien des choses que
nous serons prêts à pardonner au réalisateur vu
l’enthousiasme avec lequel il échafaude chacune de ses
imitations. Ce qui cause toutefois le plus de dommage à l’ensemble
au bout du compte, c’est qu’à vouloir rendre hommage
à autant de matière filmique sans jamais faire de compromis,
Marshall finit par oublier d’imposer sa propre vision artistique.
Ce dernier ne se contente ainsi que d’injecter autant d’effets
de style que possible à une facture visuelle qui n’aurait
pu être plus hétérogène, nous proposant au
final une mise en scène certes criarde et hautement dynamique,
mais surtout impersonnelle et dépourvue de toute nuance. Un manque
de constance qui se reflète également dans la trame sonore
éclectique d’un Tyler Bates qui se contenta de suivre de
façon peu inspirée le ton épisodique imposé
par Marshall plutôt que de fournir une ligne directrice supplémentaire
à l’ensemble par le biais d’un son plus uniforme
et moindrement original.
Doomsday est en soi le genre de projet qui aurait pu facilement
tourner à la catastrophe s’il avait été initié
par les mauvaises personnes. Si Neil Marshall ne se casse pas la tête
outre mesure ici en forgeant l’identité de son troisième
long-métrage à partir de celle des autres, ce dernier
fait néanmoins preuve de suffisamment d’adresse et de savoir-faire
pour nous offrir un produit satisfaisant dont le seul et unique but
est de divertir. Chose que Doomsday accomplit d’une manière
souvent peu orthodoxe, mais avec un plaisir coupable, et surtout contagieux.
Le tout découle évidemment d’une démarche
quelque peu simplette édifiée par un cinéaste qui
ne s’est imposé aucune barrière en s’appliquant
beaucoup plus à mettre en scène son adoration pour les
oeuvres qui en ont fait le cinéaste qu’il est aujourd’hui
qu’à tenter de développer une quelconque forme de
propos sociopolitique. À l’instar de Zack Snyder et de
son remake du Dawn of the Dead de George A. Romero, Marshall
privilégia visiblement le contenant beaucoup plus que le contenu,
fusionnant les styles avec un fanatisme évident sans jamais trop
se prendre au sérieux afin de rendre la pilule plus facilement
avalable. Il est d’ailleurs clair que ce que le Britannique avait
en tête ici n’était pas de révolutionner quoi
que ce soit, mais bien de partager sa passion pour le cinéma
de genre avec qui voudrait bien l’écouter. En ce sens,
Doomsday possède définitivement toutes les caractéristiques
d’un film culte en devenir, même si celles-ci nous laissent
toujours en tête une curieuse impression de déjà
vu...
Version française : -
Scénario :
Neil Marshall
Distribution :
Rhona Mitra, Bob Hoskins, Malcolm McDowell, Sean
Pertwee
Durée :
105 minutes
Origine :
Royaume-Uni
Publiée le :
28 Mai 2008