DON'T LOOK BACK (1967)
D.A. Pennebaker
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Don't Look Back débute sur le premier vidéoclip
de l'histoire: Bob Dylan, look apathique et air nonchalant bien assumés,
présente en pièces détachées le texte de
sa chanson Subterranean Homesick Blues à une caméra
fixe. Cette courte introduction s'avère visionnaire, annonçant
une révolution qui allait altérer le fonctionnement de
l'industrie musicale deux décennies plus tard. Cinématographiquement,
le classique de D.A. Pennebaker demeure par ailleurs ancré dans
la philosophie documentaire d'une époque. Oeuvre-phare du mouvement
«direct», Don't Look Back tente de saisir à
même l'instantanéité de ses images une parcelle
de vérité, notion fugace dans l'univers voilé et
artificiel du show-business. Suivant avec sa caméra le jeune
Bob Dylan au cours de trois semaines de tournée en Angleterre
au printemps de 1965, Pennebaker devient ici observateur attentif d'événements
qu'il tente de capter sans en altérer le déroulement par
sa présence. Capable de se distancier - voire s'effacer - ou
au contraire de s'approcher de son sujet pour tenter de le scruter au-delà
des apparences calculées et des tics défensifs, le documentariste
propose une oeuvre dense et fascinante dont la démarche aspire
à une certaine pureté presque scientifique.
Pennebaker a déjà en 1965 l'expérience nécessaire
pour aborder un personnage tel que Dylan sans être intimidé:
il était déjà de la partie en 1960 pour le tournage
de Primary, film du cinéaste Robert Drew consacré
à une campagne électorale de John F. Kennedy. Fort de
cette expérience sur l'une des oeuvres instigatrices du courant
«cinéma-vérité» aux États-Unis,
il renoue avec l'opérateur-caméra Richard Leacock lors
du tournage de Crisis, oeuvre consacrée au bras-de-fer
opposant Kennedy à un gouverneur de l'Alabama refusant que deux
élèves noirs soient admis dans un établissement
scolaire de son état. Frère spirituel de son partenaire
d'affaires Leacock, Pennebaker défend une nouvelle manière
de filmer le réel. Caméra à l'épaule, il
saute dans le feu de l'action et n'hésite pas à se joindre
à la mêlée pour suivre de près son sujet.
Ses images sont libérées des contraintes de la narration
en voix off. Elles parleront par elles-mêmes, pense-t-il.
Par ailleurs, ce n'est pas le monde de la politique qui semble fasciner
Pennebaker et, dès 1965, il se démarquera surtout en tant
que documentariste dans le domaine musical. Film-clé de son oeuvre,
Don't Look Back revendique cette nouvelle manière de
filmer que défendent au Québec Pierre Perrault et Michel
Brault. Le caméraman s'intègre au quotidien de son sujet,
laissant tourner sa caméra dans l'espoir de percer la figure
médiatique pour saisir ne serait-ce qu'une seconde l'homme derrière
l'icône. Loin du portrait léché et censuré
que proposent trop de prétendus documentaires frôlant la
fiction, Don't Look Back chasse le vrai avec une détermination
tout simplement admirable et, bien qu'il n'arrive pas toujours à
déjouer le malin Dylan, arrache à l'auteur-compositeur-interprètes
plusieurs moments authentiques.
Ainsi, le célèbre chansonnier - encore à ce moment
de sa carrière considéré folk - nous apparaît
tour à tour désorienté ou calculateur, formidablement
vif d'esprit ou tout bonnement arrogant. Pennebaker s'immisce dans son
intimité sans trop la déranger; il capte quelques performances
intimes en compagnie de Joan Baez ou de Donovan ainsi que quelques moments
de réflexion contemplative. Au-delà du grand cirque rock
n' roll, le cinéaste s'intéresse à l'artiste à
l'oeuvre derrière l'industrie. L'un des moments les plus révélateurs
de son oeuvre demeure par ailleurs une séquence qu'il passe en
compagnie du controversé gérant de Dylan Albert Grossman.
Manipulateur, il tente alors de faire grimper artificiellement les enchères
sur une prestation de son poulain à la BBC. Lucide, Don't
Look Back refuse d'effacer au montage ces jeux de pouvoirs.
Pourtant, c'est cette caméra alerte ainsi que la présence
chaotique de l'énigmatique Dylan qui nous tiennent en haleine
tout au long de Don't Look Back. La vérité est
un concept fondamentalement abstrait au cinéma, particulièrement
dans l'optique où un cinéma se disant documentaire force
le spectateur à une lecture sérieuse et tributaire du
réel. Forcément, l'appellation «cinéma-vérité»
est donc présomptueuse et nécessairement fallacieuse.
Ici, Dylan joue-t-il Dylan? Quel impact le montage a-t-il eu sur la
manière dont nous sont racontés les événements
ici présents? À quel point la caméra de Pennebaker
peut-elle être objective? Il est évident que l'observateur
ne sera jamais neutre. Néanmoins, Don't Look Back nous
propose dans la mesure du possible un regard franc et révélateur
sur l'une des personnalités musicales les plus importantes du
vingtième siècle. S'imposant d'emblée comme l'uns
des grands documentaires rock de l'histoire, Don't Look Back
s'avère aussi fort représentatif d'une période
charnière de l'évolution du regard documentaire. Pour
cette raison, son attrait dépasse donc le simple degré
musical et devient purement cinématographique, les questions
qu'il pose au niveau formel demeurant pertinentes aujourd'hui encore.
Version française : -
Scénario :
D.A. Pennebaker
Distribution :
Bob Dylan, Albert Grossman, Bob Neuwirth, Joan
Baez
Durée :
96 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
16 Octobre 2006