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DOMINO (2005)
Tony Scott

Par Jean-François Vandeuren

Connu avant tout pour ses nombreuses collaborations avec le producteur Jerry Bruckheimer, Tony Scott signa pourtant quelques uns des films d’action hollywoodiens les plus appréciés des deux dernières décennies, que ce soit mérité ou non. Il faut dire que le frère cadet de Ridley Scott fit toujours progresser son style pour donner le ton aux dernières tendances en la matière. Mais plus important encore, il le fit la plupart du temps sans que sa facture visuelle n’empiète sur l’intrigue du film en soi, laquelle se voulait en général tout aussi bien construite même si peu innovatrice. Domino s’inspire de l’histoire bien réelle du mannequin devenue chasseuse de prime Domino Harvey, mais dans un scénario dont les grandes lignes relèvent entièrement de la fiction. Voir le père de Donnie Darko, Richard Kelly, être associé au projet à titre de scénariste donnait espoir d’assister à un divertissement bourré d’artifices, mais tout de même élaboré avec intelligence. Malheureusement, la rencontre entre les deux cinéastes ne fut pas des plus fructueuses. Ces derniers nous abandonnent avec un film basé sur un récit beaucoup trop brouillon qui se perd dans une mise en scène saturée dans le cas présent par le style désinvolte et parfois insupportable de Tony Scott.

Le réalisateur britannique reprend donc là où il nous avait laissés au terme de son opus somme toute fort respectable de 2004, Man on Fire. Ce dernier comptait pour sa part sur le soutien scénaristique de Brian Helgeland, qui nous proposa l’année précédente le scénario du Mystic River de Clint Eastwood. La mise en scène de Scott dans Domino suit donc sensiblement les mêmes stratagèmes visuels. La différence majeure dans ce cas-ci est que ce dernier ne parvient aucunement à doser efficacement ses effets de style et le développement de l’intrigue pour en arriver à mettre l’un au service de l’autre. Le résultat donne d’ailleurs l’impression d’un défi que Tony Scott se serait lancé à lui-même afin de voir s’il pourrait maintenir la cadence des séquences les plus frénétiques de Man on Fire pendant un peu plus de deux heures. Si telles étaient ses intentions, il remporta son pari, mais il perdra assurément son public en cours de route. De son côté, Richard Kelly tenta d’en faire trop pour finir avec un portrait d’ensemble plutôt flou. L’idée d’inclure dans la quête de nos chasseurs de prime les composantes d’une émission de télé-réalité animée par deux vedettes déchus de la série Beverly Hills 90210 intrigue et amuse au départ, mais comme ses nombreux effets de style, incluant divers flash-backs mal introduits remettant inutilement en question la crédulité de certaines scènes présentées antérieurement, le tout mène souvent nul part.

En soi, Domino prend les traits d’un long vidéo clip s’échelonnant sur environ deux heures. Le résultat final nous rappelle d’ailleurs pourquoi ce genre d’exercice ne dure pas plus que quelques minutes d’ordinaire. Domino possède évidemment tout le mérite que ce genre d’initiative implique, que l’on parle des couleurs extrêmement vivantes de la superbe direction photo ou de la réalisation de Tony Scott qui est tout de même assez léché lorsque ce dernier se tient à une certaine distance du gros plan. Ce qui nuit par contre à l’ensemble, c’est la surcharge de tous ces éléments. Ceux-ci ne sont d’ailleurs aucunement aidés par un montage excessif enchaînant sans relâche des plans qui ne durent jamais plus que quelques secondes chacun. Le tout est surenchéri par une accumulation d’effets sonores répétitifs et un choix musical tapageur à souhait qui ne font qu’empirer le cas d’un effort qui finit par nous tomber rapidement sur les nerfs.

Domino se veut ainsi le constat par excellence de la situation peu reluisante du cinéma d’action hollywoodien des dernières années. Face à ce tournant inévitable, il ne reste qu’à voir comment la ville reine du divertissement saura s’ajuster. Prendra-t-elle le recul nécessaire pour parvenir à un format plus réfléchi et mieux dosé? Où verra-t-elle l’avenir du genre dans tous ces excès inutiles? On pourra accorder à Tony Scott le mérite d’avoir su soutenir un rythme aussi étroitement construit d’un bout à l’autre de l'effort. Mais le résultat n’en demeure pas moins assommant. Domino aurait sûrement pu éviter le pire si Richard Kelly avait abouti à un scénario un peu plus étoffé et cohérent. Mais au final, il ne reste qu’un exemple de plus de la triste victoire du style sur la substance.




Version française : Domino
Scénario : Richard Kelly
Distribution : Keira Knightley, Mickey Rourke, Edgar Ramirez, Delroy Lindo
Durée : 127 minutes
Origine : États-Unis, France

Publiée le : 1er Avril 2006