A DIRTY SHAME (2004)
John Waters
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Dans un monde où South Park sévit à chaque
semaine pour repousser au petit écran les limites du mauvais
goût, le roi du trash John Waters n'a tout simplement plus le
même impact déstabilisant. Nous vivons à une époque
où les tabous sont écrasés à chaque instant.
Voyons les choses telles qu'elles le sont: Jerry Springer a changé
la face de l'Amérique en exposant par l'entremise d'un cirque
médiatique quotidien les excès grotesques du royaume du
''trailer trash''. Pourtant, le pays de l'Oncle Sam a rarement exhibé
un tel besoin de recevoir en pleine face les grossièretés
bien grasses de l'auteur de Mondo Trasho et de Pink Flamingos.
Les États-Unis de Georges W. Bush et de la droite chrétienne,
qui se battent férocement pour unir politique et religion tout
en excluant les homosexuels de la sacro-sainte Constitution des pères
fondateurs, ont réellement besoin d'un tel agent provocateur.
Le cinéma de John Waters existe au-delà de la gêne
et de la bienséance, et habite un univers débridé
où toutes les perversions sont célébrées.
Bien sûr, l'âge et les années 90 ont tempérés
les ardeurs du monstre. Au fil des ans, Waters a fait quelques concessions
à la narration classique et à la compétence technique
que les puristes des premières heures ne lui pardonneront jamais.
Mais A Dirty Shame va sans l'ombre d'un doute raviver la ferveur
de ceux qui avaient été déçus par la décence
relative de Pecker ou Serial Mom. Avec son nouvel
opéra de la terreur, John Waters a été décrocher
un redoutable NC-17 pour grossière indécence sur la voie
publique. Le débat demeure ouvert quant à savoir si le
délit en question méritait une telle punition qui l'a
exclu à jamais des deux plus gros réseaux de distribution
de l'Amérique du Nord, ces fiers défenseurs de la bonne
morale familiale que sont Blockbuster et Wal-Mart. Mais force est d'admettre
que Waters ne nous avait pas exposé à un tel torrent de
vulgarité depuis belle lurette.
Ce que Cecil B. Demented livrait comme correction à
l'empire hollywoodien, A Dirty Shame le sert au puritanisme
exacerbé de nos voisins du sud. Sans aucune subtilité,
le nouveau Waters égorge tous les épouvantails du ''politically
correct'' et s'affaire à transgresser toutes les limites imposées
par les censeurs. "Let's go sexin'", s'écrient
en choeur les joyeux dépravés de cette fable satirique
où la mythologie chrétienne côtoie les plus infâmes
formes de fétichismes obscurs auxquelles aient été
exposées nos oreilles depuis bien longtemps. Par l'entremise
des prouesses divines d'un miraculeux messie sexuel et d'une douzaine
apôtre de la débauche nouvellement conscientisée,
Waters expose les habitants de la tranquille ville de Baltimore à
une vague d'actes sexuels délirants au moment même où
se forme dans un dépanneur minable une association d'honorables
citoyens conservateurs alarmés par l'indécence ambiante.
Bien entendu, Waters encourage ses comédiens à jouer aussi
gros que possible et ne se préoccupe pas outre mesure de livrer
une histoire bien ficelée. Après tout, on a tout de même
affaire à un film trash en habit de soirée. Mais force
est d'admettre que le film de Waters repousse toutes les débilités
inacceptables auxquelles nous avons été exposés
durant les dernières années. Ceux qui aspirent à
dénicher une critique articulée de la pudeur américaine
se sont trompés d'adresse. John Waters se complaît dans
l'exhibitionnisme grivois et l'humour de fond de toilette. Il en jouit.
Bref, John Waters continue de faire du John Waters pour le meilleur
et pour le pire. Les fidèles amateurs se réjouiront des
mêmes choses qui irritent les sceptiques de longue date. C'est
tant mieux ainsi. Car à défaut d'être réellement
constructive, la méthode Waters a le mérite d'être
efficace et de ne pas faire de compromis. A Dirty Shame est
une comédie abrasive et parfois hilarante qui divisera l'auditoire.
Dix linguistes sur dix s'entendent cependant pour dire qu'il s'agit
d'une excellente façon d'enrichir son dictionnaire personnel
des perversions sexuelles. L'éducation triomphe, une fois de
plus.
Version française : -
Scénario :
John Waters
Distribution :
Tracey Ullman, Johnny Knoxville, Selma Blair, Chris
Isaak
Durée :
89 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
22 Décembre 2005