UN DIMANCHE À KIGALI (2006)
Robert Favreau
Par Frédéric Rochefort-Allie
Le mot « génocide », bien qu'on tente de nous en
faire croire le contraire, n'est pas l'exclusivité de l'holocauste
orchestré par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Alors
que la majorité d'entre nous, occidentaux, étions presque
impuissants devant nos écrans de télévision, un
bain de sang ruisselait le long des collines du Rwanda. Prisonniers
au sein de leur propre pays, les Tutsis furent carrément massacrés.
L'horreur est la presque totale absence d'efforts pour stopper l'extermination
qui se manigançait sous les yeux des journalistes.
Un Dimanche à Kigali est avant tout l'histoire d'amour
entre Bernard Valcourt, journaliste et cinéaste Québécois
(Luc Picard), envoyé au Rwanda pour faire un documentaire-reportage
sur le sida. C'est alors qu'il rencontrera Gentille, serveuse à
l'hôtel des milles collines (oui...le même que dans Hotel
Rwanda), dont il tombera éperdument amoureux. Malheureusement,
la guerre les séparera. Avec énormément d'intelligence,
Gil Courtemanche et Robert Favreau se servent de la menace de plus en
plus lourde du conflit allant éclater d'un jour à l'autre,
comme toile de fond à cette aventure amoureuse où le temps
et les circonstances jouent contre eux.
On y trouve aussi une certaine forme d'enquête menée par
Bernard quelques mois après la tempête, où le Québécois
tentera de retrouver sa douce en questionnant des amis visiblement bouleversés.
Le film alterne donc constamment entre passé et présent
pour tenter de créer un suspense. Malheureusement, ce n'est pas
parce que les films chronologiquement déconstruits sont à
la mode depuis quelques temps que cette approche fonctionne toujours
à merveille. Comme nous savons déjà que Bernard
survivra, toutes les menaces faites par les Hutu ne sont plus vraiment
terrifiantes. Le sort des personnages nous est déjà présenté,
quel est donc l'intérêt du film ? Nous montrer un homme
angoissé par la possible mort de son épouse ? Le film
passe de l'histoire d'amour à la constatation des dégâts
de la guerre. En fait, à cause de cette approche, Robert Favreau
perd sa cible.
Même si une bonne partie de l'action se passe aux Milles Collines,
Un dimanche à Kigali n'a rien d'un Hotel Rwanda
version belle province. Le film est beaucoup plus engagé politiquement
et ne glorifie pas, sans véritablement traîner dans la
boue des personnages comme le général Dallaire. Son point
de vue pamphlétaire critique sévèrement le manque
de réactions des pays comme le Canada et sur ce point, le film
est une réussite totale. Le réalisateur arrive aussi à
créer des séquences d'une violence monstrueuse tout en
n'étant pas totalement explicites. « Vous nous imaginiez
comme des animaux, vous voyez maintenant que nous sommes humains »,
dira un Rwandais désespéré à Bernard.
C'est sans surprise que Luc Picard vole la vedette à toute la
distribution. Le comédien exprime si bien la douleur et la souffrance
qu'il est tout de même difficile d'y rester insensible. Dans une
scène en particulier, il crie en pleurant, mais la douleur est
si grande qu'aucun son n'arrive à sortir de sa bouche. Le jeu
de Luc Picard est si impeccable qu'il faudrait avoir un coeur de pierre
pour ne rien sentir en voyant une performance si poignante. Le film
nous révèle aussi le talent et le charme de la jeune Fatou
N'Diaye en Gentille; il est plutôt rare d'avoir des révélations
au Québec, car ce sont toujours les mêmes comédiens
que nous réutilisons de films en films.
Un seul problème vient nuire à la distribution. Il est
vrai que les comédiens de race noire sont tout de même
rares au Québec, sinon, ils n'ont que peu de visibilité.
Mais pour que le spectateur ait l'illusion d'être au Rwanda, peut-être
ne devrait-on pas utiliser des comédiens comme Maka Koto ou Luck
Mervil. Les deux acteurs interprètent bien leurs rôles,
mais leur présence dérange. De parfaits inconnus auraient
parfaitement pu incarner les mêmes personnages et le charme ne
serait pas rompu.
On peut applaudir Robert Favreau d'avoir osé : oser critiquer
de plein front notre gouvernement, oser s'être prononcé
sur un massacre qui fut mis de côté, mais surtout...oser
avoir enfin quitter le milieu familial, pour offrir au cinéma
Québécois de nouveaux horizons. Preuve comme quoi, même
au Québec, nous ne sommes plus obligés de nous regarder
le nombril. Il nous est possible de créer des oeuvres qui peuvent
avoir des résonances plus internationales tout en conservant
notre propre regard.
Version française : -
Scénario :
Robert Favreau, Gil Courtemanche (roman)
Distribution :
Luc Picard, Fatou N'Diaye, Céline Bonnier,
Alice Isimbi
Durée :
118 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
16 Avril 2006