DIARY OF THE DEAD (2007)
George A. Romero
Par Mathieu Li-Goyette
Ayant fait une sortie peu médiatisée au Festival du Film
de Toronto en 2007, le dernier épisode de la saga zombie de Romero
a depuis fait beaucoup jaser en Europe. On y retrouve le questionnement
à la mode de l'image facétieuse et du cinéma subjectif;
l'avènement d'un nouveau ciné-œil cybernétique.
Romero est donc encore de la partie. Après le racisme, la consommation,
le militarisme et le marxisme social, il précède la vague
entamée dans son champ d'action par le gargantuesque Cloverfield,
le simple et efficace [Rec], pour s'affirmer au final comme
le plus sage et pertinent des cinéastes s'étant penché
sur la question. En fait, le sacré maitre de l'horreur semble
être parmi les seuls représentants de son art à
ne pas être tombé dans le piège de «la mort
du cinéma». Bien que l'état d'alerte soit bien utile
et serve surtout à donner la rampe de lancement à des
oeuvres plus singulières, l'alibi propose surtout de sauver les
meubles d'un art en état de crise si médiatisé
dans les milieux cinéphiliques que ce sont, au final, les spectateurs
qui y perdent au compte. Quelqu'un a déjà entendu l'histoire
de l'agneau qui criait au loup? Allez dire à un littéraire
que l'écriture est en danger, il vous répondra probablement
que si le cinéma se permet un questionnement de la sorte, c'est
parce que de sa courte histoire, il cherche encore à assumer
des qualités que lui seul, pris dans l'oeil de la tempête,
semble incapable de déceler. Et si on manque peut-être
un peu tous de confiance pour le futur du cinéma de genre, il
fait bon de se rabattre sur l'homme qui ne panique jamais, qui avance
les bras en l'air en méditant sur l'avenir que son genre ne lui
appartenant plus peut bien encore lui procurer.
Après un Land of the dead intéressant, mais sans
plus, Romero revient aux amours de la production indépendante
avec un tournage sur le pouce complété en 23 jours. Équipé
d'acteurs inconnus et d'un dispositif particulier étant ici la
caméra-récit, le cinéaste réussit à
mettre en oeuvre tout au long de son road trip macabre une atmosphère
chère aux mondes post-apocalyptiques aux bords du gouffre. Comme
à l'habitude, les portes de l'Enfer se sont ouvertes pour laisser
déferler sur la Terre des mortels pêcheurs (cette fois-ci
des agents de la surconsommation médiatique) transformés
le temps d'un long-métrage en appâts d'une divine vengeance
carnivore. La prémisse de Diary of the Dead agit en
mise en abime de son propre mécanisme narratif. Des étudiants
tournent un film d'épouvante à l'orée d'une forêt
lorsque les morts se mettent à se relever. Aucune épidémie,
aucun rituel satanique, les morts-vivants de Romero ont toujours eu
cette qualité de n'être qu'un contexte, qu'un paysage à
l'analyse de la conscience humaine et cette fois-ci à son interaction
avec le milieu des grands médias. Youtube, Facebook, les caméras
de téléphones portables, le montage vidéo accessible
à tous, bref la facilité de filmer, de façonner
et de diffuser une image construite de par le monde semble ici inquiéter
notre créateur. C'est par cette lubie technologique que semble
s'édifier les grands instants dramatiques de son opus au sourire
noir qui offre, au fil de ses 90 minutes, assez de changements d'atmosphères
(du rire caricatural à l'effroi toujours efficace) pour mériter
à elle seule de discuter du talent de réalisateur rarement
démontré de Romero.
On réduit en effet régulièrement ce dernier à
des films bien modestes bien que ceux-ci semblent toujours offrir assez
de clichés pour justement parvenir à les surmonter. L'arrivée
incongru d'un Amish sénile, le professeur mélancolique
chassant les morts à coup d'arc ainsi que les adolescents de
l'équipe permettant le gag facétieux non loin des stéréotypes
du tournage amateur provoquent le rire à répétition.
Avec ses stupidités apparentes, il n'y qu'une conclusion possible
et c'est que Romero ne s'y prend, pour la première fois de sa
carrière, aucunement au sérieux. Soit par dépit
face à un débat qu'il juge enfantin (revenons alors à
notre histoire du énième questionnement du cinéma)
ou soit les contraintes du renouvèlement lui semblait passer
par l'auto-dérision hybride. Descendant d'un joyeux compromis
entre [Rec] et Shaun of the Dead, le réalisateur
y démontre peut-être de la sorte une certaine grandeur
à s'offrir un tel champ d'amusement qu'est celui de ses propres
monstres. La finale de [Rec] montrait la reporter survivante
tirée vers les ténèbres artificielles procurées
par l'infra-rouge. À l'opposée, Diary of the Dead
se termine par un plan d'une tête de zombie se balançant
au bout d'une potence. On dissimule dans la noirceur grâce à
l'appareil dans l'un, on donne le cliché choquant effectué
en plein jour et permis par un prolongement de cette même aptitude
multiforme et flexible qu'est le partage des images dans l'autre. Le
fait est, au final, qu'autant le cauchemar des espagnols Balagueró
et Plaza existe grâce à la conscience diégétique
de l'image, autant le petit bijou de Romero cible cette conscience comme
moteur de l'extermination lucide de la race humaine. Peu importe où
les étudiants se trouvent, ils ont accès à un suivis
de la chute des autres nations, aux vidéos de survivants s'amusant
à torturer ces dépouilles animés par divers jeux
malsains. La propagation des snuff movies et des images abjectes
se répand au grand jour pour permettre enfin à l'imaginaire
collectif un défoulement qui n'est plus honteux, qui est au contraire
excusé par l'alibi de l'annihilation. C'est un peu tout ça
qui dégoute Romero et qui lui permet, chose rarissime, de tracer
les origines anthropologiques d'une nouvelle tendance cinématographique.
Ce sont ces vidéos qu'on reçoit dans notre boite de réception
montrant un chien mort sous les rails, un extrait du viol d'Irréversible
(2002) tristement célèbre grâce au corps meurtrie
de Monica Bellucci, c'est aussi le dernier planchiste se fracturant
le cou contre une demi-lune de béton. C'est le voyeurisme parfait.
Nous sommes à présent dissimulés derrière
une fenêtre impossible à briser, sur une cour dont il est
impossible de concevoir les limites. Le plaisir coupable de regarder
la mort d'autrui et l'expiation à proprement parler des émotions
sauvages imposent un rapport entre la réalité et notre
personne passant par une relation pornographique avec l'information.
Du voir et se savoir non vu du cinéma est devenu le voir et se
savoir unique à posséder l'image de façon privilégiée.
Si on comprend bien, l'expérience collective se transforme en
expérience individuelle, en peepshow du savoir. Rendu
capable par ce dispositif auquel nous revenons toujours, Romero a su
injecter son film d'un sens particulier du solitaire et c'est pourtant
de Diary of the Dead que ses personnages se sont vus permis
la plus grande marge de manoeuvre en continent américain. Cernés
par les écrans et une caméra dilatant le temps du film
au moyen de plan-séquences, Diary of the Dead n'est
finalement pas privé de défauts, mais comme quelques rares
oeuvres, la densité de l'information proposée par le cinéaste
ramène à l'essai, non plus au jugement de l'éclairage
ou du traitement musical. Mince cri de mécontentement dans une
mer de complaisance, la prophétie qu'annonce ici Romero ne tient
en fait qu'au futur des grandes compagnies de blogues et d'engins électroniques;
voilà une réalité, à mon avis, bien plus
effrayante que quelques morts-vivants lobotomisés.
Version française : -
Scénario :
George A. Romero
Distribution :
Michelle Morgan, Joshua Close, Shawn Roberts, Amy
Ciupak Lalonde
Durée :
95 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
6 Février 2009