DE PÈRE EN FLIC (2009)
Émile Gaudreault
Par Mathieu Li-Goyette
Au Québec, nous aimons nos humoristes. Nous chérissons
aussi secrètement les «lavages de linge sale en famille»,
les dialogues « entre hommes » et nous nous levons, café
en main, tout en regardant les dernières crises de Claude Poirier
apostrophant tour à tour les bévues de notre système
judiciaires et les opérations criminelles à travers la
province. Aussi peu vrai que ces stéréotypes semblent
cerner les limites de notre identité provinciale, ils se sont
avérés plus vrais que nature il y a maintenant de ça
3 ans lorsque Bon Cop, Bad Cop s'est retrouvé être
le plus grand succès box-office de l'histoire du cinéma
canadien... Si l'on observe la recette directement empruntée
au film policier américain qui mettait de l'avant un Québécois,
un Ontarien et au plein centre le sport national représenté
par les deux métropoles de hockey en Montréal et Toronto,
le film de Canuel dégageait un certain sens de l'humour primaire
basé sur les différences, la vulgarité recherchée
par ses dialogues et un estampillage assez demeuré des différences
entre francophones et anglophones. Bref, le film était fort grossier
malgré l'immense succès et la campagne publicitaire qui
s'en suivit opposant les salles anglophones aux salles francophones
(le film était essentiellement tourné autant en anglais
qu'en français) où chaque spectateur - c'est là
un subtile stratagème de marketing - d'un bord ou de l'autre
de la province devait contribuer pour « gagner » contre
le voisin de pays.
Certes, c'est après trois années que l'expérience
se devait d'être répétée, mais cette fois-ci
plus intelligemment et par un réalisateur certainement plus à
l'affut de ses moyens et de l'imaginaire nationale dans lequel il se
voyait patauger. Émile Gaudreault, s'il ne signe pas le meilleur
alliage entre l'humour et le drame familial bien d'ici, est tout de
même parvenu avec brio à ficeler un scénario fonctionnel
et surtout habité par d'excellents dialogues. Alors que la mise
en scène semble se prêter au jeu de l'agent double (transitions
cachées, jeux de balayages intégrés aux décors
en plus d'autres tours de passe-passe), chaque personnage recèle
un acteur bien camouflé sous les traits grossiers d'archétypes.
Michel Côté et Louis-José Houde en père et
fils, flic et flic obligés par un supérieur sous pression
(Jici Lauzon) de faire équipe lors d'une semaine de réconciliation
père-fils pour faire sauter la soupape névrosée
d'un avocat (Rémy Girard) à la charge d'un moustachu chef
de motard (Jean-Michel Anctil): un film de duo policier typé
dans lequel la médiation entre les gags et le drame, les fils
et les pères est régit par un animateur affichant une
inébranlable neutralité (Robin Aubert). L'intérêt
majeur du film repose d'ailleurs dans ses moments de filiation où
les pères (on y compte aussi Normand d'Amour) confrontent de
front leur progéniture et où les dialogues mordants du
film volent la vedette. Tant en alterné qu'en duel de reproches,
Gaudreault se place visiblement dans la peau du personnage d'Aubert,
prêt à rediriger le film en cas de violence, en cas où
une vérité plus choquante que l'usuel discours autour
du baby-boomariat ferait dérapage.
Car bien qu'il soit comique et bien amené, on ne retient pas
grand chose de Père en flic mis à part cette
escapade en camping. Mal rythmées et surtout basées sur
un scénario d'une linéarité soporifique, les péripéties
policières du film de Gaudreault réussissent à
peine à se soutenir d'elles-mêmes et échouent là
où le réel suspense côtoyant l'action aurait porté
le film dans une catégorie à part du cinéma québécois
commercial. Ce qui sauve plutôt De père en flic,
c'est la complicité et l'interprétation brillante de ses
comédiens. Louis-José Houde, que l'on avait déjà
aperçu dans Bon Cop, Bad Cop, y tient un premier rôle
efficace et assez bien composé pour que l'on oublie rapidement
le travail de l'humoriste derrière un personnage qui souffre
de dépendance affective envers son ex-petite amie (Caroline Dhavernas,
qui supervise l'opération) est parfaitement épaulée
par un Michel Côté de retour en pleine forme (lire: à
l'inverse d'un Cruising Bar 2 très décevant).
Suit une performance attachante de Robin Aubert dans un personnage plutôt
banal à lequel il aura réussit à insuffler un tempérament
rendant les scènes de médiation parmi les plus efficaces
de tout le film. Si c'est peut-être celle de Rémy Girard
qui déçoit le plus en père imbu de sa propre personne,
son fils Patrick Drolet vole la vedette des enfants incompris et incarne
avec nuance le rôle de l'adolescent rose de notre époque.
Grande parade de vedettariat, De père en flic parvient
néanmoins à se tenir cohérent de lui-même
et à ne pas faire reposer sur nos grands comédiens d'ici
ce qui aurait très bien pu se faire passer pour un long festival
d'humour. Sur ce point, le défi est relevé et nous sommes
bel et bien devant un flair et une écriture bien dosée.
Dédié à un public cible assez large entre baby-boomers
et adolescents en crise, c'est justement là la cohérence
de Père en flic de s'être penché sur une
vedette de l'ère Broue et une autre de l'ère
Musique Plus. Unificateur et avec un peu de chance un film
qui lancera certains débats sur la paternité absente dans
la société québécoise, le film de Gaudreault
s'inscrit - devons-nous encore le soulever? - dans une très longue
lignée d'oeuvres à la recherche d'un père. Des
plus connues (C.R.A.Z.Y., Gaz Bar Blues, etc.) aux
plus anciennes (Mon Oncle Antoine), le thème est récurrent
dans un cinéma québécois qui, à la recherche
de ses origines et de son réel imaginaire a somme toute peu évolué
depuis les dix dernières années. Les valeurs de production
ont renchéri ce qui y était déjà, mais c'est
sans jouer les nostalgiques que nous pouvons affirmer être en
grave panne à l'heure des nouveaux médias et d'un cinéma
postmoderne que nous pennons à rattraper. Avec un peu de chance,
ce deuxième immense succès au box-office parviendra à
faire naître un engouement de plus en plus respectable alors qu'encore
le dixième des billets vendus au Québec le sont pour des
films d'ici qui occupe un pourcentage encore plus minime en terme de
visibilité sur les écrans de la province. Sclérosé
à la base de son génie créatif, nous accumulons
les bonnes recettes, les bonnes exécutions et les bonnes adaptations
littéraires alors que Dolan fait un tabac à Cannes, que
le dernier Rodrigue Jean ou l'unique Demain de Maxime Giroux
ne sont parvenus qu'à une dizaine de jours d'affiche dans une
salle de cinéma qui n'existe même plus. Il ne faut pas
se leurrer, le cinéma québécois est en crise et
c'est dans l'intérêt que nous porterons sur ses oeuvres
réellement originales qu'il survivra à travers le temps
et surtout par-dessus l'art routinier dont il semble se contenter paresseusement.
Version française : -
Scénario :
Émile Gaudreault, Ian Lauzon
Distribution :
Michel Côté, Louis-José Houde,
Rémy Girard, Caroline Dhavernas
Durée :
107 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
10 Août 2009