THE DEPARTED (2006)
Martin Scorsese
Par Frédéric Rochefort-Allie
À chaque fois c'est la même histoire. Depuis maintenant
plus de 10 ans, quand Martin Scorsese revient derrière la caméra
on se demande, "et cette fois, est-ce que ce sera la bonne"?
Scorsese pourra-t-il triompher à nouveau? Refera-t-il équipe
avec De Niro? Renouera-t-il avec les films de mafia? Tout le monde s'attend
à un nouveau Goodfellas, mais ce que personne ne semble
réaliser, c'est qu'en 10 ans un artiste évolue. Maintenant
dans la soixantaine, Marty n'a plus le même style, plus les mêmes
préoccupations ni les mêmes amours. Un seul lien unit l'oeuvre
de Scorsese en un tout, et ce n'est ni la pègre ou le sang, mais
plutôt les crises identitaires.
Dans ce remodellage à l'américaine du récent film
chinois infernal Affairs, ce thème fétiche du
cinéaste n'a jamais autant sauté aux yeux. Colin Sullivan
(Matt Damon) et Billy Costigan (Leonardo Dicaprio) sont deux jeunes
recrues des forces policières de la ville de Boston qui n'ont
rien en commun en apparence. Pourtant, à l'image du Yin et du
Yang, l'un est un criminel infiltrant la police pour le compte du gangster
Frank Costello (Jack Nicholson), l'autre joue le rôle inverse.
Rapidement, les deux hommes sont amenés à se pourchasser,
ignorant chacun l'identité de l'autre.
Si plusieurs pointent encore The Departed du doigt pour faire
parti du courant des remakes de films asiatiques, il faut tout de même
spécifier qu'un océan le sépare des attorictés
telle la série des Grudge. William Monahan (à
qui l'on doit Kingdom of Heaven) a réussit le tour de
force de reprendre les meilleurs moments du scénario de Felix
Chong et Siu Fai Mak et d'ajouter la chair autour de l'os. Les personnages
sont maintenant plus humains, mieux dévellopés. Monahan
fait aussi preuve de génie car dans le but de simplifier et d'intensifier
l'intrigue, il a combiné les multiples personnages féminins
de l'original en un seul. Cette décision plutôt judicieuse
ajoute énormément de profondeur au récit. Donc,
même si le suspense y perd un peu son rythme éffreiné,
l'action y gagne en impact.
Peut-être un peu enragé d'être passé à
deux doigts de remporter son premier Oscar de meilleur réalisateur
en carrière avec The Aviator, Martin Scorsese a décidé
ici de mettre les bouchées doubles. On le sent décidé
de remporter le prochain roundà sa réalisation impeccable.
Or, enivré de la mécanique du thriller à l'américaine,
le cinéaste a presque complètement laissé de côté
sa touche personnelle. On y trouve parfois des bribes de Goodfellas
ou quelques références à des oeuvres passées,
mais le feu sacré qui animait Scorsese jusqu'à présent
s'est un peu étouffé. Dire qu'il s'agit d'une de ses meilleures
réalisation serait renier toute la passion qui anime l'ensemble
de sa filmographie : la rage de Raging Bull, la frénésie
de The Aviator ou le désir ardent dans New York
Stories. Il n'y a pas de doute que son petit dernier peut servir
d'exemple dans le genre, puisqu'il s'agit de l'un des meilleurs thriller
américain des dernières années. mais si la technique
étonne, l'âme de l'artiste elle n'y est pas entièrement.
Heureusement, The Departed marque la troisième collaboration
entre Martin Scorsese et son nouvel acteur fétiche Leonardo DiCaprio.
Le réalisateur a souvent dit que c'est le jeune acteur prodige
qui lui fournit l'énergie nécessaire et l'inspiration
pour continuer de créer. C'est sans trop de surprise qu'on retrouve
un DiCaprio de plus en plus mûr et d'autant plus à l'aise
avec le cinéaste. L'acteur fait un pied de nez à tout
ceux qui le jugeaient incapable d'incarner les brutes, puisque de sa
performance émane une violence comparable à l'intensité
du jeu d'un jeune Robert De Niro. Même dans ses silences, on sent
chez le personnage de Billy Costigan une rage bouillante. DiCaprio arrive
à rivaliser en terme de présence avec un Jack Nicholson
en pleine forme, ce qui est en soit un exploit. On y découvre
aussi une jeune actrice prometteuse, Vera Farmiga, qui dégage
une chimie incroyable avec Leornardo DiCaprio et Matt Damon et partageant
avec eux certaines des meilleures scènes du film.
Comme la facture visuelle de Scorsese est quelque peu effacée,
c'est beaucoup plus la qualité de l'ensemble de la production
qui fait de ce film une franche réussite. L'adaptation occidentale
d'une oeuvre orientale se fait à la perfection, mais c'est justement
cette approche un peu trop classique dans sa forme qui fait entrave
à l'oeuvre pour accéder au titre de classique moderne.
Il reste néanmoins que parmi tous les films de 2006, The
Departed est certainement l'un des meilleurs que nous aura offert
la machine hollywoodienne au coeur d'une année qui enchaîne
les déceptions et l'un des rares par Scorsese qui arrive à
allier qualité et succès, malheureusement.
Version française :
Agents troubles
Scénario :
William Monahan, Siu Fai Mak et Felix Chong
(Infernal Affairs)
Distribution :
Leonardo DiCaprio, Matt Damon, Jack Nicholson,
Mark Wahlberg
Durée :
151 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
25 Novembre 2006