DÉLIVREZ-MOI (2006)
Denis Chouinard
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le spectre de l'excès plane sur le genre dramatique tel une épée
de Damoclès retenue par un fil ténu. Il peut devenir difficile
de définir ce qu'implique le terme «trop», mais à
plusieurs reprises, le nouveau film de Denis Chouinard trébuche
alors qu'il tente de rester en équilibre sur une très
mince ligne entre la justesse et l'exagération. Délivrez-moi
se perd en cours de route et, s'étendant sur trop de fronts à
la fois, finit par diluer sa charge dramatique en l'écartelant
entre divers personnages intéressants, mais superflus. Étouffant
la tension de sa narration dans une surabondance d'intrigues secondaires,
le film donne l'impression d'exposer la matière nécessaire
pour quatre scénarios en moins de deux heures. Pétri de
bonnes intentions et plus abouti en ce qui a trait à l'esthétique
que ne l'était L'Ange de goudron, le troisième
long-métrage de Denis Chouinard n'arrive malheureusement pas
à nous toucher comme l'avait fait son prédécesseur.
Pour faire la promotion de Délivrez-moi, on parle énormément
du travail des trois actrices principales. Signe de faiblesse s'il en
est un, ce stratagème laisse toujours un goût amer en bouche.
Une solide distribution est une base et non un luxe formidable, surtout
au Québec où les comédiens de talent sont nombreux.
De toute évidence, la présence au générique
de Geneviève Bujold et de Céline Bonnier ainsi que la
promesse d'une performance éblouissante de la part de la jeune
Juliette Gosselin sont des arguments pour le film de Chouinard. Mais,
même si toutes les ficelles mélodramatiques sont tirées
dans l'espoir de soutirer au public des sentiments, l'ensemble ne culmine
jamais en un tout cohérent.
Entre ses conversations sur la mort avec un désabusé voisin
d'origine serbe et ses prises de bec avec une travailleuse sociale cocaïnomane
et lesbienne de surcroît, la pauvre Annie a le temps de se dénicher
un chum brutal et abruti en travaillant durement à l'usine pour
regagner la confiance d'une société qui lui accorde avec
réticence une seconde chance. Délivrez-moi traite
de la dure réinsertion sociale d'une mère monoparentale
qui a purgé une peine de prison de dix ans pour avoir tué
son conjoint schizophrène, dont le spectre la hante toujours
faut-il le souligner, et des défis qu'elle surmonte pour reprendre
à une belle-mère qui la méprise la garde de sa
propre fille ambivalente quant à la perception qu'elle a de sa
mère. Sortez vos mouchoir, il y a du drame ce soir!
Que ma dérision soit prise avec un grain de sel. Délivrez-moi
abonde de belles scènes et profite d'une direction photo léchée
courtoisie du très fiable Steve Asselin auquel on doit entre
autres l'élégance de Mémoires affectives
et la présentation incroyablement stylisée de Saints-Martyrs-des-Damnés.
Comme il l'avait fait dans le suspense surnaturel de Robin Aubert, Asselin
fait preuve d'un flair visuel impressionnant lorsque vient le temps
de conférer une aura plus grande que nature à la silhouette
torturée d'une usine qui, à l'instar de celle de Saints-Martyrs-des-Damnés,
consume l'âme de ceux qui s'y aventurent. Qui plus est, les images
contemplatives de nature paisible avec lesquelles Chouinard ponctue
son film lui vaudront peut-être quelques comparaisons avec Terrence
Malick.
Au point de vue du formel, Délivrez-moi est en fait
un film supérieur en plusieurs points à L'Ange de
goudron. Mais contrairement à un film tel que The Woodsman
qui traitait lui aussi de la réhabilitation d'un ancien prisonnier,
le film n'arrive jamais à bien cibler ses enjeux. La relation
entre Bonnier et Patrice Robitaille déçoit, entre autres
parce que le personnage de celui-ci est prisonnier de stéréotypes
faciles. La piste du voisin est plus prometteuse, renvoyant par le fait
même aux anciens films de Chouinard. Mais encore là, le
film ne l'emprunte que pour s'y perdre. À force de trop vouloir
en faire, Délivrez-moi abandonne les demi-tons et la
subtilité pour se cantonner aux grandes lignes et aux généralités.
En ce sens, on peut dire qu'il s'agit d'une déception même
si certains moments forts se dégagent de l'ensemble. Délivrez-moi
force la dose. Parce qu'il ne sait pas quand dire «assez»,
le film de Chouinard finit par épuiser le spectateur. Malgré
un bel effort pour se libérer du réalisme à tout
prix, le réalisateur québécois vient de pondre
un film insatisfaisant et épuisant qui se distingue surtout par
sa belle facture visuelle. De toute évidence, ce n'était
pas le but.
Version française : -
Scénario :
Denis Chouinard, Monique Proulx
Distribution :
Céline Bonnier, Geneviève Bujold,
Pierre-Luc Brillant, Juliette Gosselin
Durée :
96 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
26 Mai 2006