DÉLICE PALOMA (2007)
Nadir Moknèche
Par Louis Filiatrault
On ne saurait dire de l'Algérie qu'elle occupe une place dominante
sur les écrans du monde. Plus souvent qu'autrement, on retrouve
sa présence entre les lignes du cinéma français,
ruminant le souvenir d'un passé colonial pas si lointain, ou
dans quelques oeuvres du terroir bouillonnantes de rage. C'est un peu
pourquoi il fait tant de bien de rencontrer une oeuvre algérienne
faisant preuve de sérénité sans pour autant compromettre
son intelligence. Annoncé dans un ton convenablement léger,
Délice Paloma ne réinvente pas la comédie
dramatique mais fait plutôt oublier cette catégorisation,
démontrant une admirable originalité dans son écriture
ainsi qu'un don pour une cartographie psychologique multiple et nuancée.
De ce film dont on retient les personnages touchants, il se dégage
la chaleur humaine particulière des cultures de la Méditerranée,
ainsi qu'une cadence relâchée mais agréable ne se
réduisant pas non plus à un enchaînement banal de
scènes de ménage.
Plus nerveux et résolument urbain, le Viva Laldjérie
de 2003 traçait un portrait intéressant de la femme algérienne
contemporaine, mais se dénouait de façon légèrement
confuse, peu concluante. Entre autres interprètes, la chanteuse
Biyouna (sorte d'équivalent algérois de notre Ginette
Reno) y composait un personnage de mère et de veuve très
crédible, poursuivant un rêve et parvenant à l'exaucer
(quelque peu platement, d'ailleurs). Délice Paloma reprend
ce motif maternel et le place en son centre, n'en faisant pas le seul
objet de son attention mais bien le pivot autour duquel s'articulent
tous les éléments de sa fiction. Ainsi, autour d'une prémisse
générale impliquant une petite entreprise de « services
» plus ou moins légaux (une sorte de micro-mafia, en somme),
se dessinent un jeune homme désirant retrouver son père
en Italie, une femme mûre caressant l'idée de fonder une
famille et vivre dans la tranquilité, ainsi qu'une fille de campagne
encore à la recherche de sa place dans le monde ; le tout sous
l'oeil un peu dépassé de la soeur sourde et muette de
la protagoniste principale. L'accomplissement de ces enjeux personnels
est entravé par la personnalité à la fois contrôlante
et adorable de cette dernière, se surnommant «Madame Aldjérie»
(ainsi que « bienfaitrice du peuple »), et visant quant
à elle depuis toujours (et de façon plus que légèrement
fantasque) l'acquisition de thermes antiques situées près
de sa ville natale. La gestion équilibrée de ces motivations
contribue largement à faire de Délice Paloma
une réussite scénaristique non négligeable, mais
son intérêt s'étend aussi à d'autres qualités.
Tandis que le film précédent de Nadir Moknèche
s'efforçait de suivre des fils narratifs plus ou moins indépendants
(à l'instar du récent, moins sombre mais tout de même
similaire Caramel de Nadine Labaki), la particularité
de celui-ci est d'établir une unité de groupe et de n'en
démordre qu'à quelques rares occasions. Rarement isolés
des autres (même au simple niveau du cadrage), les personnages
sont plus ou moins contraints à composer les uns avec les autres,
à « supporter » la flamboyance de la matriarche sans
dire un mot, en se rappelant cependant toujours leur amour pour elle,
pour sa vanité comme pour sa naïveté. Il en résulte
une dynamique très particulière que le réalisateur
prend le temps d'explorer en profondeur par l'entremise d'un récit
long, aux revirements nombreux, mais jamais forcés. La narration
est dynamisée par un système de flash-backs simple, efficace
mais aussi mélancolique, par quelques trouvailles intéressantes
dans la manière de relier les temporalités, voire même
de carrément briser la transparence (une adresse au spectateur
en clôture d'une très belle scène apparaît
à la fois surprenante et naturelle dans son contexte). La même
subtilité s'applique à la mise en images, qui réserve
quelques panoramas splendides ainsi qu'une place prédominante
à la lumière du soleil, gorgeant les espaces de façon
agréable.
En somme, Délice Paloma n'est pas un film frappant de
ses qualités cinématographiques inédites et n'inspirera
pas de passions brûlantes ou de revisionnements précipités.
Ce qu'il offre à son spectateur est plutôt l'harmonie toute
simple d'une écriture maîtrisée et d'une mise en
scène versatile, allouant aussi tout l'espace nécessaire
à des prestations remarquables de la part des comédiens.
Cette conciliation apparaît particulièrement évidente
au cours d'une longue et complexe séquence de résolution,
observant patiemment la dissolution du petit groupe et préférant
l'ambiguïté à l'excès mélodramatique.
Ailleurs, c'est la création d'instants de musique, de tension,
ou simplement d'humour qui témoigne d'une capacité à
faire flèche de tout bois. Pour son troisième essai à
la réalisation, Nadir Moknèche, sans nécessairement
parvenir ou même vouloir aboutir à des observations sociales
d'une grande pertinence, a plutôt réussi à créer
un ensemble de figures attachantes et à les faire évoluer
avec grâce, en passant par une progression psychologique mesurée
et un sens de la nostalgie très juste qui ne passe jamais pour
complaisante. À défaut de passer parmi les incontournables,
il entre tout en candeur à cette école de sympathiques
cinéastes que l'on suivra avec intérêt.
Version française : -
Scénario :
Nadir Moknèche
Distribution :
Biyouna, Nadia Kaci, Aylin Prandi, Daniel Lundh
Durée :
134 minutes
Origine :
France, Algérie
Publiée le :
17 Juin 2008