DE BATTRE MON COEUR S'EST ARRÊTÉ
(2005)
Jacques Audiard
Par Jean-François Vandeuren
Dans ce remake du film Fingers de James Toback, le cinéaste
français Jacques Audiard substitue le milieu de la pègre
de l’effort original pour nous faire entrer dans le monde moins
mythique, mais tout aussi véreux, et par le fait même beaucoup
plus d’actualité sur le territoire français, de
l’immobilier. Audiard nous introduit de ce fait au personnage
de Thomas Seyr (Romain Duris), un jeune homme d’affaire qui décida
de suivre les traces de son père et de tirer quelques ficelles
de ce domaine très lucratif pour qui veut bien se remplir les
poches aux dépends des moins fortunés. Un choix de carrière
qui l’obligea cependant à mettre sur la glace ses talents
de pianiste. Mais une brève rencontre avec l’ancien agent
de sa mère, qui était elle aussi musicienne, lui donnera
la chance de passer une audition qui pourrait lui permettre de devenir
pianiste de concert. La tâche ne sera toutefois pas si facile
et Thomas tentera tant bien que mal de jongler entre deux facettes bien
distinctes de sa personnalités qu’il alternera entre l’univers
peu reluisant de sa profession et celui plus envoûtant de la musique.
Jacques Audiard fait parti de cette clique de réalisateurs qui
s’affèrent en ce moment à sortir le cinéma
français de sa torpeur. Sans y aller forcément d’une
approche extravagante, le cinéaste nous propose tout de même
une réalisation plus vivante et moderne tout en imprégnant
sa mise en scène d’une élégance qui n’a
cependant rien de statique. Le réalisateur français visite
ainsi dans De battre mon cœur s’est arrêté
des recoins assez connus de ce genre de scénarios cherchant à
faire fleurir une forme d’humanisme dans des domaines jugés
jusque-là peu propices au développement d’une telle
sensibilité. Mais Audiard ne se contente pas que de suivre une
formule à la lettre et s’efforce plutôt de la retravailler
à sa façon. Une entreprise qui ne se fait pas sans l’emploie
de quelques choix qui, à prime abord, sembleront beaucoup trop
de convenance. On pensera par exemple à cette chanson déjà
surexploitée Breathe du groupe électronique français
Télépopmusik qui, pourtant, deviendra le thème
idéal du croisement symbolique entre les deux mondes et mentalités
du scénario d’Audiard et Tonino Benacquista. C’est
d’ailleurs ce contrôle étonnant qui permet à
Audiard de créer cette fable urbaine somme toute bien connue
sans avoir à se soucier constamment de la présence d’éléments
de son effort dans d’autres films parus antérieurement.
Évidemment, l’idée de base du film n’est pas
sans rappeler le premier effort de Luc Picard, L’Audition.
De son côté, Picard approchait la sensibilité débordante
de son personnage principal dans un contexte où il était
apte à contrôler les tensions et la violence de son boulot
lorsqu’il s’adonnait à son jeu de comédien.
Audiard, quant à lui, s’amuse à mêler les
deux facettes de la vie de Thomas Seyr. Ce dernier continuera ainsi
d’interagir assez vivement lorsqu’il devra se prêter
au milieu plus inoffensif de la musique et commencera à se détacher
de plus en plus de son milieu d’affaires sans nécessairement
le renier. Un croisement heureusement proposé de façon
directe, ce qui n’empêche toutefois pas Audiard d’ajouter
une bonne dose de nuance à son récit par le biais des
relations que Seyr entretient avec les autres personnages, surtout son
père et les représentantes de la gente féminine.
Romain Duris vient compléter admirablement ce portrait par une
interprétation toujours dans le ton, réussissant à
rendre attachant un personnage arrogant au possible pour lequel il est
difficile d’avoir du respect par une touche d’humour un
peu plus chaleureuse.
Une rencontre entre Jacques Audiard et Romain Duris qui consacre ce
dernier comme l’un des grands acteurs français de sa génération
et qui nous donne en final un long métrage entrechoquant adroitement
deux univers respectivement dur et délicat, dans lequel le cinéaste
français prend toujours le temps de nous présenter avec
respect celui de la musique par le biais d’une quête visant
à ce que celle-ci entre en parfaite symbiose avec le corps et
l’esprit. Un film dont le propos apparaît évidemment
comme rien de vraiment nouveau, mais qui est amplement récupéré
par l’apport à la fois réaliste, envoûtant
et sincère de l’approche d’Audiard.
Version française : -
Scénario :
Jacques Audiard, Tonino Benacquista
Distribution :
Romain Duris, Niels Arestrup, Jonathan Zaccaï,
Gilles Cohen
Durée :
107 minutes
Origine :
France
Publiée le :
22 Octobre 2005