DEAD MAN (1995)
Jim Jarmusch
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le cinéma de Jim Jarmusch a toujours été axé
sur le personnage de l’étranger, de l’outsider.
Ainsi, son Dead Man suit les tribulations de William Blake
(Johnny Depp), un jeune homme de Cleveland qui part pour l’Ouest
après la mort de ses parents afin d’y commencer une nouvelle
vie. On lui a promis un emploi dans la ville de Machine, mais les choses
ne se déroulent pas comme prévues, et Blake se retrouve
vite avec une balle dans le corps et un prix sur sa tête. En compagnie
de Nobody (Gary Farmer), un amérindien qui voit en lui la réincarnation
d’un grand poète britannique, William Blake entame un voyage
initiatique, avec à ses trousses trois chasseurs de prime engagés
pour le retrouver.
Avec Dead Man, Jarmusch offre bien plus qu’un simple
western. Il joue avec les conventions du genre pour faire un film d’une
grande poésie que n’aurait pas renié Bergman. Tant
par sa force symbolique que par sa nature contemplative, le film de
Jarmusch rappelle l’œuvre du légendaire réalisateur
suédois. Ce n’est un secret pour personne que Jarmusch
est un maitre de la composition et que ses films sont d’une grande
beauté esthétique. Toutefois, Dead Man lui permet
d’atteindre de nouveaux sommets à ce niveau. Visuellement,
le film est carrément parfait. La photographie noir et blanc
de Robby Müller, qui a travaillé sur plusieurs films de
Jarmusch dont Down By Law et Mystery Train, est tout
simplement époustouflante. Elle est digne des majestueux paysages
filmés, qui sont eux-mêmes le miroir parfait du voyage
spirituel de Blake.
Le jeu de caméra de Jarmusch est moins minimaliste qu’à
l’habitude, mais reste tout de même marqué par une
grande sobriété. Le réalisateur a préféré,
comme toujours, se concentrer sur la qualité et la précision
du cadrage, exceptionnelle, plutôt que sur des effets de réalisation
superficiels qui auraient, de toute façon, été
déplacés dans un tel film. Le rythme lent, presque hypnotique,
de Dead Man ajoute à son côté onirique.
De plus, Jarmusch réussit à dérouter le spectateur
sans jamais le perdre grâce à la structure narrative originale
de son scénario.
Film poétique malgré sa violence parfois extrême,
Dead Man nous transporte aussi par la qualité de ses
dialogues, ainsi que par le charisme de sa formidable galerie de personnages
tous plus excentriques les uns que les autres. Depp et Farmer sont tous
deux excellents dans leur rôle respectif et développent
ensemble une chimie qui rend le moindre silence lourd de sens. Le reste
de la distribution est elle aussi parfaite, et ce jusqu’au plus
petit rôle. Crispin Glover, Alfred Molina, John Hurt, Lance Henriksen,
Michael Wincott, Robert Mitchum, Gabriel Byrne et Billy Bob Thornton
offrent tous de solides prestations dans des rôles de soutien
parfois très courts, mais tous mémorables. Même
le chanteur Iggy Pop s’en tire merveilleusement bien dans le rôle
pour le moins étrange d’un trappeur travesti cannibale.
Ce souci de créer des personnages mémorables est une caractéristique
du cinéma de Jarmusch, au même titre que sa grande musicalité.
À ce niveau aussi le film est une réussite remarquable.
La guitare abrasive mais expressive de Neil Young ajoute beaucoup à
l’ambiance du film et accompagne à merveille les images.
Dead Man est beaucoup plus qu’un curieux western post-moderne
teinté d’un sens de l’humour particulier. C’est
une réflexion fascinante sur la mort, une profonde remise en
question du mythe américain, ainsi qu’un vibrant poème
sur la beauté de la nature. Le film a aussi le mérite
d’explorer la culture amérindienne avec un profond respect
de celle-ci, sans la moindre trace d’une morale facile comme celles
de The Searchers ou de Dances With Wolves.
Mais c’est surtout un voyage fascinant que l’on partage
avec William Blake et duquel on sort changé, en regardant la
vie d’un œil different. Un voyage qui mérite d’être
fait maintes fois afin d’en capturer toutes les subtilités.
Dead Man est le chef d’œuvre de Jim Jarmusch, une
réinvention du western, un véritable western existentialiste
pour être plus précis, qui s’avère être
l’aboutissement de son style personnel, ainsi que l’exploration
la plus profonde de ses thèmes habituels. Sans aucun doute, l’un
des meilleurs films des années 1990, sinon de tous les temps.
Version française : -
Scénario :
Jim Jarmusch
Distribution :
Johnny Depp, Gary Farmer, Lance Henriksen, Billy
Bob Thornton
Durée :
121 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
5 Février 2004