A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

DEAD MAN (1995)
Jim Jarmusch

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Le cinéma de Jim Jarmusch a toujours été axé sur le personnage de l’étranger, de l’outsider. Ainsi, son Dead Man suit les tribulations de William Blake (Johnny Depp), un jeune homme de Cleveland qui part pour l’Ouest après la mort de ses parents afin d’y commencer une nouvelle vie. On lui a promis un emploi dans la ville de Machine, mais les choses ne se déroulent pas comme prévues, et Blake se retrouve vite avec une balle dans le corps et un prix sur sa tête. En compagnie de Nobody (Gary Farmer), un amérindien qui voit en lui la réincarnation d’un grand poète britannique, William Blake entame un voyage initiatique, avec à ses trousses trois chasseurs de prime engagés pour le retrouver.

Avec Dead Man, Jarmusch offre bien plus qu’un simple western. Il joue avec les conventions du genre pour faire un film d’une grande poésie que n’aurait pas renié Bergman. Tant par sa force symbolique que par sa nature contemplative, le film de Jarmusch rappelle l’œuvre du légendaire réalisateur suédois. Ce n’est un secret pour personne que Jarmusch est un maitre de la composition et que ses films sont d’une grande beauté esthétique. Toutefois, Dead Man lui permet d’atteindre de nouveaux sommets à ce niveau. Visuellement, le film est carrément parfait. La photographie noir et blanc de Robby Müller, qui a travaillé sur plusieurs films de Jarmusch dont Down By Law et Mystery Train, est tout simplement époustouflante. Elle est digne des majestueux paysages filmés, qui sont eux-mêmes le miroir parfait du voyage spirituel de Blake.

Le jeu de caméra de Jarmusch est moins minimaliste qu’à l’habitude, mais reste tout de même marqué par une grande sobriété. Le réalisateur a préféré, comme toujours, se concentrer sur la qualité et la précision du cadrage, exceptionnelle, plutôt que sur des effets de réalisation superficiels qui auraient, de toute façon, été déplacés dans un tel film. Le rythme lent, presque hypnotique, de Dead Man ajoute à son côté onirique. De plus, Jarmusch réussit à dérouter le spectateur sans jamais le perdre grâce à la structure narrative originale de son scénario.

Film poétique malgré sa violence parfois extrême, Dead Man nous transporte aussi par la qualité de ses dialogues, ainsi que par le charisme de sa formidable galerie de personnages tous plus excentriques les uns que les autres. Depp et Farmer sont tous deux excellents dans leur rôle respectif et développent ensemble une chimie qui rend le moindre silence lourd de sens. Le reste de la distribution est elle aussi parfaite, et ce jusqu’au plus petit rôle. Crispin Glover, Alfred Molina, John Hurt, Lance Henriksen, Michael Wincott, Robert Mitchum, Gabriel Byrne et Billy Bob Thornton offrent tous de solides prestations dans des rôles de soutien parfois très courts, mais tous mémorables. Même le chanteur Iggy Pop s’en tire merveilleusement bien dans le rôle pour le moins étrange d’un trappeur travesti cannibale. Ce souci de créer des personnages mémorables est une caractéristique du cinéma de Jarmusch, au même titre que sa grande musicalité. À ce niveau aussi le film est une réussite remarquable. La guitare abrasive mais expressive de Neil Young ajoute beaucoup à l’ambiance du film et accompagne à merveille les images.

Dead Man est beaucoup plus qu’un curieux western post-moderne teinté d’un sens de l’humour particulier. C’est une réflexion fascinante sur la mort, une profonde remise en question du mythe américain, ainsi qu’un vibrant poème sur la beauté de la nature. Le film a aussi le mérite d’explorer la culture amérindienne avec un profond respect de celle-ci, sans la moindre trace d’une morale facile comme celles de The Searchers ou de Dances With Wolves.

Mais c’est surtout un voyage fascinant que l’on partage avec William Blake et duquel on sort changé, en regardant la vie d’un œil different. Un voyage qui mérite d’être fait maintes fois afin d’en capturer toutes les subtilités. Dead Man est le chef d’œuvre de Jim Jarmusch, une réinvention du western, un véritable western existentialiste pour être plus précis, qui s’avère être l’aboutissement de son style personnel, ainsi que l’exploration la plus profonde de ses thèmes habituels. Sans aucun doute, l’un des meilleurs films des années 1990, sinon de tous les temps.




Version française : -
Scénario : Jim Jarmusch
Distribution : Johnny Depp, Gary Farmer, Lance Henriksen, Billy Bob Thornton
Durée : 121 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 5 Février 2004