DARK WATER (2002)
Hideo Nakata
Par Jean-François Vandeuren
En 1998, Hideo Nakata signait l’adaptation cinématographique
du roman Ringu de Kôji Suzuki. En un rien de temps, cette
sortie somme toute banale au départ se transforma en un phénomène
populaire particulièrement imposant, lequel allait littéralement
changer la face du cinéma d’horreur au pays du soleil levant
en plus d’ouvrir ce dernier au marché international. La
plus grande menace pour les cinéphiles japonais était
devenue le spectre d’une jeune fille au visage constamment dissimulé
sous une longue et épaisse chevelure noire. Après avoir
réalisé une suite à son plus célèbre
effort, Nakata tenta de nouveau de capitaliser sur son propre succès
en orchestrant l’adaptation d’un autre roman de Suzuki :
Dark Water. Plongeant une fois de plus son public au cœur
d’atmosphères lugubres souvent insoutenables, le cinéaste
japonais mit davantage l’accent cette fois-ci sur le drame et
la tension psychologique émanant de son récit que sur
l’horreur en soi. Malheureusement, le cheminement narratif de
ce Dark Water n’échappe pas à certaines
failles scénaristiques dont le genre se prévaut lâchement
depuis déjà quelques années.
Il est question cette fois-ci d’une mère aux nerfs particulièrement
fragiles se battant corps et âme pour la garde de sa fille, avec
qui elle vient d’ailleurs tout juste d’emménager
dans un nouveau logement. Comme tout bon appartement qui se respecte,
leur nouveau domicile comporte évidemment quelques vices cachés
ici et là. En plus de voisins bruyants, le plafond fut endommagé
par ce qui semble être de prime abord une défaillance au
niveau de la tuyauterie. Ces divers inconvénients prendront toutefois
des proportions surnaturelles lorsque notre mère monoparentale
sera témoin des étranges manifestations d’une petite
fille trempée jusqu’aux os et d’un mystérieux
sac rouge appartenant vraisemblablement à la gamine. Et si toute
cette mascarade avait un lien avec la disparition d’une jeune
fille du voisinage il y a environ un an?
Comme bon nombre de productions appartenant à ce sous-genre bien
spécifique, Dark Water présente une prémisse
des plus intrigantes dont le maître d’œuvre esquisse
lentement les traits tout en ayant déjà en tête
la note symbolique particulièrement tragique sur laquelle il
désire mettre fin à ses élans. Les choses ont toutefois
tendance à se compliquer pour ce genre de récit à
peine quelques miles avant la ligne d’arrivée, au moment
où le cinéaste doit unir ces deux pôles et résoudre
son intrigue d’une manière moindrement cohérente
d’un point de vue diégétique. Un cas comme Dark
Water se veut un pari d’autant plus risqué vue la
façon dont Nakata entrechoque le monde des morts et celui des
vivants sans que leur représentants respectifs aient le moindre
lien entre eux. Comme dans le lamentable The Echo du Philippin
Yam Laranas sorti deux ans plus tard, le film d’Hideo Nakata fait
part d’une paresse scénaristique pour le moins désolante
à ce niveau. Devant le peu d’opportunités s’offrant
à lui, le cinéaste japonais décida de jeter l’éponge
pour se rabattre sur les inévitables flash-back. Comme par magie,
ces stratagèmes narratifs sans queue ni tête viendront
éclairer la lanterne du spectateur et des protagonistes qui ne
pourront que remercier leur créateur de leur avoir rendu la tâche
aussi facile, même s’ils auront dû frôler la
crise cardiaque une bonne dizaine de fois avant d’en arriver là.
Même si Hideo Nakata a un peu trop tendance à couper les
coins ronds pour arriver à ses fins, les thèmes explorés
par son Dark Water demeurent en soi des plus pertinents et
donnent un nouveau souffle à cette histoire déjà
abondamment retravaillée. D’une part, Nakata fait abstraction
du cas de vengeance post mortem que ce genre de récit implique
d’ordinaire. Le réalisateur japonais présente plutôt
sa nouvelle figure fantomatique comme une âme errante à
la recherche d’un point d’attache dans le monde des vivants.
Sans lésiner sur les effets de tension, que l’actrice Hitomi
Kuroki supporte avec une force dramatique tout simplement foudroyante,
Nakata préféra néanmoins concentrer ses énergies
sur le développement des enjeux avec lesquels sa protagoniste
tente de composer. Le cinéaste utilise ainsi la situation personnelle
de ses principaux personnages comme fil conducteur d’une brillante
réflexion sur la famille et la façon dont celle-ci est
souvent divisée par les nombreuses obligations de la vie moderne.
Nakata appuie également cette initiative d’un sentiment
de solitude et d’isolement omniprésent qu’il souligne
principalement par l’entremise de l’immeuble où se
déroule la majorité de l’action de son film, dont
la froideur se forme autour de longs couloirs en décrépitude
et de logements qui semblent, pour la plupart, étrangement inoccupés.
Dark Water rate donc l’opportunité de devenir
une œuvre phare du genre par une seule séquence cruciale
qui aurait dû normalement solidifier l’ensemble de l’intérieur.
Nakata commit cet impair devenu monnaie courante dans le milieu de l’horreur
en forgeant sa logique narrative en fonction de son public plutôt
que de ses personnages. Si le mystère entourant son effort s’en
voit diminué, le cinéaste japonais sauve tout de même
la mise grâce à une réalisation modeste, mais élaborée
avec le plus grand soin. Nakata parvient ainsi sans difficulté
à nous plonger dans la peau de personnages dont nous finissons
par prendre le sort extrêmement à cœur, décuplant
du coup la force de frappe d’une finale à la fois tragique
et ambiguë. En terme de style, Nakata ne surpasse peut-être
pas la froideur géométrique de la mise en scène
de Ringu, mais offre malgré tout une facture visuelle
qui sert à merveille le développement d’un récit
plus terre à terre dont l’objectif est de susciter la compassion
beaucoup plus que l’effroi chez le spectateur.
Version française : -
Version originale : Honogurai mizu no soko kara
Scénario : Hideo Nakata, Takashige Ichise, Yoshihiro Nakamura,
Kôji Suzuki (roman)
Distribution : Hitomi Kuroki, Rio Kanno, Mirei Oguchi, Asami Mizukawa
Durée : 101 minutes
Origine : Japon
Publiée le : 6 Février 2007
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