CUBE (1997)
Vincenzo Natali
Par Pierre-Louis Prégent
Vous est-il déjà arrivé d’entrer dans un
club vidéo avec le désir absurde de vous promener dans
la section science-fiction afin de vous adonner à une sélection
dont les critères vous mèneront volontairement à
la location d’un navet ? Je m’adonne quelquefois à
cette pratique que certains considéreront masochiste. Seulement,
je me souviendrai longtemps de cette soirée où cette étrange
piqure m’a mené à louer Cube. On dit souvent:
«Il ne faut pas se fier aux apparences»... je dois dire
que ce petit bijou de film constituerait l’exemple idéal
pour vendre ce proverbe et devenir multimilliardaire.
Section science-fiction. Deux copies seulement. Film canadien. Très
léger budget. Aucune tête connue. Titre peu vendeur. Réalisé
par un pur inconnu. Et, c’est bien le comble, une couverture de
boitier assez peu inspirante. Voilà, je détenais dans
mes mains un gagnant (pour une soirée «navet»)...
mais, c’est lors du visionnement que je réalisai qu’il
ne s’agissait pas du «gagnant» que j’avais espéré.
Laissez-moi vous dire que la surprise fut extrêmement agréable.
La séquence d’introduction frappe de plein fouet. Un homme
à l’air visiblement troublé se promène dans
une mystérieuse pièce cubique où les murs métalliques
sont tous identiques. Sur chaque face de ce cube, on retrouve une porte.
Chaque porte mène à une autre pièce identique,
sauf pour la couleur des panneaux muraux. Puis, tout à coup,
venant de franchir une porte, entrant vigilamment dans une autre pièce,
un son d’objet coupant vient rompre le calme inquiétant,
et notre ami commence à saigner de partout. Puis, des tranches
de sa tête s’effondrent au sol, pour ensuite céder
place aux doigts et au reste du corps tranché en dés de
la pauvre victime. L’effet est réellement impressionnant,
aucun CGI (et dire que certains plus fortunés ont tenté
de reproduire un tel effet en vain... n’est-ce pas Paul W. Anderson,
aussi connu sous le pseudonyme de Monsieur Resident Evil).
Puis, maintenant le concept radicalement expliqué, le titre apparait,
pour ensuite laisser place au véritable spectacle.
Nous suivons l’inexplicable (même s’ils feront du
mieux qu’ils pourront pour l’expliquer) destin de divers
personnages qui se sont tous mystérieusement retrouvés
dans le cube, avec seulement quelques vagues souvenirs de ce qu’ils
faisaient avant de s’y réveiller. Ils sont tous différents:
l’un d’eux est policier, l’une est étudiante
et très douée en mathématiques, un autre est un
ex-détenu maitre de l’évasion, alors qu’un
autre souffre de déficience intellectuelle. Ensemble, ils feront
appel à leur ingéniosité pour tenter de trouver
la porte qui les mènera à l’extérieur de
l’infernal bâtiment.
Et là où Cube devient réellement exceptionnel,
c’est dans le développement psychologique de ses personnages.
Évidemment, la conviction et la volonté de sortir du cube
géant finit par dégénérer en désespoir,
qui engendrera ensuite une colère nihiliste. La paranoïa
s’installera également, augmentant la tension entre les
individus. Les facettes sombres de la psychologie humaine viendront
habiter certains personnages qui s’adonneront par la suite à
la brutalité verbale et même physique. Bref, nous regardons
ces cobayes d’une expérience diabolique tomber à
leurs plus bas instincts.
Autre point intéressant, le film est d’une générosité
exemplaire en ce qui a trait aux bouleversements scénaristiques.
Ceux qui, en premier lieu, semblaient les plus civilisés deviennent
les maniaques, les revirements de situation sont nombreux et dynamisent
grandement ce film qui aurait facilement pu tomber dans le piège
mortel de la linéarité.
Les décors (ou plutôt, le décor) sont répétitifs...
les pièces sont identiques (sauf pour les couleurs), et jamais
on ne varie. Mais dans un tel film, cela ne fait que renforcer l’effet
indéniable de claustrophobie. Le spectateur partage physiquement
(mais d’un point de vue psychologique) le malaise des personnages
ainsi que leur désespoir de voir derrière chaque porte
une pièce identique à la précédente. De
plus, les pièges mortels présents dans de nombreuses pièces
décimeront quelques-uns de nos héros qui devront développer
un moyen pour les détecter. Cet élément additionnel
vient hautement pimenter la situation et la morbide originalité
de certains pièges offre aux cinéphiles des morts impressionnantes
et peu communes.
L’aspect sonore du film contribue également à créer
son atmosphère unique. La musique est majoritairement composée
de quelques notes de clavier qui fondent dans un faible écho.
Le son ambiant est froid et omniprésent, ce qui accentue encore
davantage l’impression d’isolement et d’enfermement.
Visuellement, Cube est réussi. Bien que le changement
de décor soit inexistant, je préciserais toutefois que
les différentes couleurs des pièces apportent une variété
visuelle fort intéressante et, étrangement, disposent
psychologiquement le spectateur de façon diversifiée.
Chacune des couleurs propose sa propre variante à l’atmosphère
globale du film. Vincenzo Natali a adéquatement conçu
ses plans, même s’il aurait pu être intéressant
d’avoir une caméra moins statique. Cela alourdit légèrement
le climat du film, même s’il est fort possible qu’il
s’agisse de l’effet désiré.
Côté interprétation, la distribution se débrouille
très adroitement. Maurice Dean Wint, dans le rôle de Quentin
(le policier) ainsi que David Hewlett, qui interprète Worth (l’architecte)
sont particulièrement convaincants. Il ne s’agit pas ici
de jeu comparable à du Mastroianni, mais tout de même,
il n’y a aucun reproche à dénicher dans ce département.
Bref, avec un scénario intelligent axé sur la psychologie
des personnages, un copieux lot de surprenants évènements,
une ambiance savamment créée qui amalgame claustrophobie
et paranormal ainsi qu’une inventivité conceptuelle impressionnante,
Cube est tout le contraire du navet que j’imaginais. Donc, cinéphiles
masochistes, lors de votre prochaine rage de navet, je vous avise que
Cube n’est définitivement pas un choix approprié.
Pour toute autre soirée cependant, quel choix judicieux!
Version française :
Cube
Scénario :
Vincenzo Natali
Distribution :
Nicole de Boer, Nicky Guadagni, David Hewlett,
Andrew Miller
Durée :
90 minutes
Origine :
Canada
Publiée le :
4 Avril 2005