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THE CRYING GAME (1992)
Neil Jordan

Par Nicolas Krief

C’est maintenant ancré dans la mémoire collective des cinéphiles du monde entier; le gros plan sur le corps de Jaye Davidson est passé à l’histoire. The Simpsons, Robot Chicken et Seinfeld y ont fait référence à la télévision. Ace Ventura, The Naked Gun et Rush Hour lui font un clin-d’œil au grand écran. The Crying Game a changé littéralement la vision qu’a le public du travestisme. Stanley Kubrick a dit à son ami Neil Jordan que son rôle était indistribuable. Le vieux maître n’avait pas tout à fait tort, créer une telle illusion relève du miracle pour un cinéaste (ou de l’image générée par ordinateur à présent). C’est dans un bar de travestis que Jordan et Stephen Woolley, le producteur, ont déniché Davidson qui était complètement saoul, il fut donc facile de le convaincre. Après sa nomination aux oscars pour le rôle, Davidson voulut arrêter de faire du cinéma. Roland Emmerich vint lui demander d’apparaître dans Stargate. Davidson n'était pas intéressé mais ne voulut refuser, il demanda donc un million de dollars pour y figurer. Il l’obtenu et Stargate fut son deuxième et dernier rôle au cinéma.

Forrest Whitaker incarne Jody, un soldat anglais enlevé par un groupe de rebelles irlandais dont fait partie Fergus (Stephen Rea). Les deux hommes se lient d’amitié, au grand désarroi du chef de la bande, Maguire et de l’autre membre, Jude (Miranda Richardson). N’obtenant pas les requêtes désirées pour la libération du soldat, Maguire décide que Jody doit être tué, et que Fergus doit être son bourreau. Avant d’être exécuté, Jody fait promettre à Fergus d’aller voir son amie de coeur, Dil (Jaye Davidson), et de s’en occuper. Après un affrontement contre l’armée britannique dont Fergus se tire indemne, il se rend à Londres pour y trouver Dil. Il y trouve une jolie coiffeuse au look exotique. Les deux tombent rapidement l’un pour l’autre. Mais le passé de Fergus le rattrape rapidement, Jude resurgit pour lui rappeler qu’il a prêté serment à l’IRA et qu’il doit les aider à tuer un dignitaire britannique.

Alors qu’il est tenu en captivité, Jody raconte cette histoire à Fergus : Le scorpion qui voulait traverser la rivière demanda à la grenouille si elle pouvait l’emmener sur son dos. Quand la grenouille demanda au scorpion comment elle pouvait être sûre qu’il n’allait pas la piquer, le scorpion répondit que s’il faisait cela, tous les deux allaient mourir. La grenouille accepte donc et prend le scorpion sur son dos. Au milieu de la rivière, la grenouille ressent une douleur et réalise que le scorpion l’a piquée. Elle lui demande : «Pourquoi tu m’as piqué? On va mourir tous les deux!» Le scorpion répondit : «Je ne peux rien y faire, c’est dans ma nature.» C’est autour de cette histoire que Jordan construit son récit, et plus particulièrement ses personnages, jouant avec la nature de chacun pour déterminer leurs actions.

En créant cette fameuse surprise, Jordan joue aussi avec la nature du spectateur masculin hétérosexuel. Celui-ci est fondamentalement voyeur, il s’identifiera au héros masculin qui rencontre une fille et finit dans son lit. Lors de la scène dans la chambre de Dil, les attentes et espoirs du spectateur, peu importe son quotient intellectuel, sont réduits en poussière. Dil, la fille sexy et exotique, sifflée par des hordes de mâles à chaque coin de rue, est un HOMME. Le voyeurisme du cinéphile mâle gavé à la poupée hollywoodienne se prend un uppercut au visage qui lui brise tous les os du nez.

Mais The Crying Game ne s’arrête pas au simple détournement du voyeurisme inhérent au cinéma d’Hollywood; Neil Jordan a écrit et réalisé un film hybride qui emprunte les traits du drame politique, mais qui comporte des éléments du film noir et même de la comédie romantique. La première demi-heure peut faire penser à un film de Jim Sheridan avec ses Irlandais fougueux prêts à tout pour leur mère patrie. Mais Jordan donne rapidement les indices nécessaires pour comprendre le reste de son récit. Jude est calquée sur le modèle de la femme fatale; dès les premières minutes du film, elle prend Jody dans ses filets, et fera de même avec Fergus à Londres. Son corps est une arme redoutable. Le pamphlet politique devient ensuite rapidement une étude psychologique. Fergus, après la découverte du pénis de Dil, est bousculé entre l’homophobie généralisée de l’homme blanc occidental et son attirance pour Dil, de laquelle il ne peut se débarrasser. C’est là que l’histoire racontée par Jody prend tout son sens, où se situe la véritable nature de Fergus, et réussira-t-il à accepter celle de Dil?

Primé aux oscars pour un scénario plus qu’impeccable, The Crying Game a aussi marqué la culture populaire. Le sous-estimé Neil Jordan a pondu une oeuvre unique et fortement stimulante, ainsi qu’un divertissement passionnant. Il profite d’une distribution parfaite, au milieu de laquelle Jaye Davidson flamboie par sa sincérité. Il dit un jour en entrevue qu’il n’eut qu’à jouer son propre rôle. Le film fut un échec à sa première sortie en Angleterre et en Irlande, mais après une campagne publicitaire originale aux États-Unis (on demanda au public de ne pas révéler le fameux secret du film) le film connu son lot de succès.




Version française : Le Cri des larmes
Scénario : Neil Jordan
Distribution : Forest Whitaker, Miranda Richardson, Stephen Rea, Adrian Dunbar
Durée : 112 minutes
Origine : Royaume-Uni

Publiée le : 17 Juin 2008