THE CRAZIES (2010)
Breck Eisner
Par Mathieu Li-Goyette
Un peu comme la mode, le cinéma d’horreur repique à
son époque précédente de trente ans (ou deux générations)
les meilleurs monstres. À l’instar de la Hammer et de ses
monstres rétro que mon collègue Alexandre a si bien décortiqué
récemment, Hollywood tente depuis le début des années
2000 de faire renaître les meilleurs moments du cinéma
d’horreur des années 70. Le premier qui a été
véritablement underground, mais surtout qui alliait l’effroi
à une vivace critique sociale, politique lors de ses meilleurs
moments. Ceci dit, il n’y a pas un remake de cette belle époque
qui ait conservé, au passage des mains de multiples producteurs
et de mauvais réalisateurs de publicités, la puissance
de son discours originel. Et pourtant, dans les autres genres, les cas
de la réactualisation des sujets croquants sont bien nombreux
et peuvent généralement faire bonne figure (dans le western,
par exemple). Pourquoi donc le deuxième film de Breck Eisner
(auteur de plus d’une centaine de publicités et réalisateur
du tout aussi louche Sahara, vous savez le film d’aventure
avec Matthew McConaughey) tombe dans les mêmes pièges que
ses prédécesseurs? Il faut admettre qu’ils ont eu
le temps de comprendre pourquoi ils réalisaient de mauvais films,
non? Du moins l’occasion à été donné
et aujourd’hui il n’est certainement plus acceptable de
se retrouver devant une oeuvre prenant si peu de risques. Le nouveau
Crazies vient mêler les cartes de la mémoire avec
ses nouvelles images venant se superposer aux premières de Romero
qui étaient plus simples, dotées d’un budget minime,
mais d’une intelligence et d’un dynamisme qui ne fait pas
équation avec le pseudo-talent de Breck Eisner.
Un beau matin, dans le comté d’Ogden Marsh, un fermier
foule un terrain de baseball, fusil à la main. Il refuse de coopérer,
le shérif du village, David, l’abat d’un coup de
pistolet. S’en suit une contamination qui poussera le policier
en chef et sa femme Judy (aussi le médecin de l’endroit
: on imagine bien ce qu’était la ville avant l’arrivée
du couple qui vient de déménager…) à fuir
l’endroit bientôt occupé par des forces militaires
qui ne répondent à aucune question. Masqués, sans
personnalité, ils confinent les citoyens dans des enclos, les
traitant comme des vaches folles, donnant un bracelet à ceux
qui ne sont pas encore infectés par le virus qui semble être
en mesure de donner la rage à quiconque le contracte. Aidé
par son adjoint, David met les voiles vers la ville la plus proche.
Pourchassé par ses anciens voisins, traqué par l’armée,
il parviendra en bout de parcours à quitter le périmètre
d’Ogden Marsh juste à temps avant qu’une explosion
nucléaire (commandée par le vilain gouvernement américain)
ne vienne raser toutes les preuves de l’insurrection. Au passage,
les clins d’oeil habituels au genre qui vont de l’adjuvant
qui se fait contaminer puis devient peu à peu un monstre jusqu’aux
meurtres « sympathiques » commis grâce à de
multiples outils de la vie courante sont tous présents à
l’appel. Mais attention, The Crazies ne devrait pas être
un film de zombies (du moins, l’original est tout le contraire)
et c’est à ce point de fracture bien précis que
l’on s’éloigne de l’idéal romerien et
donc que Eisner anéantit par lui-même la pertinence même
d’usurper au maître le titre de son opus.
À ce titre, Romero, qui signe le projet en tant que producteur
exécutif, confirmait l'automne dernier qu’on lui a simplement
demandé une petite somme d’argent et qu’ensuite il
n’a jamais eu l’occasion de jeter un oeil au scénario.
Balancé d’une étape de la production à une
autre, devant se conformer aux multiples exigences des studios de plus
en plus peureux, le fait qu’il réside ainsi dans le générique
n’est finalement qu’un baume sur la plaie des fanatiques,
de la poudre aux yeux pour rassurer la plèbe que nourrit vulgairement
Eisner. Parce qu’à chaque adaptation, le public doit être
rassuré que l’original a été respecté,
que le produit est bel et bien approuvé du sceau de qualité
« George A. Romero », « Wes Craven », «
Tobe Hooper » et que dès que le « maître »
(qui souvent ne fait soit plus dans l’horreur, soit plus dans
le cinéma du tout) vient apposer sa lourde main pour murmurer
ce que nous voulons entendre, il est certain que le produit finira à
la poubelle. Ainsi, nombreux sont les remakes des années 70 et
les remakes du cinéma d’horreur japonais à être
tombé dans la disgrace avant même leur arrivée au
grand écran (Black Christmas, Prom Night, The
Eye, Shutter; tous médiocres soit dit en passant).
Se retrouvant ensuite très rapidement sur les tablettes des clubs
vidéo, ces petites niches à premières oeuvres sont
la véritable diarrhée de l’intégration verticale
des studios américains. Ils sont ceux qui ne coûtent pas
chers, ne valent pas chers, mais rapportent un montant substanciel puisque,
comme chacun le dit, un film d’horreur mauvais est toujours moins
pénible que ses adversaires… tout simplement parce que
l’effroi manqué devient un gag réussi. Ce dernier,
fonctionnant à l’insu de celui qui l’a filmé,
provoque un rire narcissique. Le spectateur, se sentant automatiquement
plus intelligent que le cinéma qu’il va voir et qu’il
aborde comme une montagne russe, y retourne, le savoure de la façon
la plus débile qui soit et alimente ce qui huile les pires conduits
d’échapement de l’industrie.
Fidèle à son origine nauséabonde, The Crazies
n’est qu’un autre de ces films d'énergumène
dont l’analyse même ferait ressortir de possibles vertus
qu’il serait bien trop effrayant de suggérer ici. Quand
le cinéma d’épouvante de haut calibre est plutôt
celui des jeux de société (cache-cache, la course-poursuite
et même le poker), le film d’Eisner se rabat à tout
coup aux sauts qu’il inflige à son public. À placarder
de la musique d’une paroi à l’autre, il n’en
ressort encore une fois qu’une impression de tricherie, que le
réalisateur ne nous laisse pas la légitime chance de savourer
l’ambiance qui pourrait découler de son film, ni de saisir
la portée que celui-ci semble esquisser lors de ses quelques
forts instants. Bien sûr parce que toute atmosphère est
absente, bien sûr aussi parce que les performances de l’intérêt
romantique frise l'incrédulité que l’on attribut
au porno, c’est devant les moyens techniques qu’il faut
enfin se rabattre, le soin de la direction photo, le « bon moment
» que le film nous fait passer. Quant à l’utilisation
des maquillages qui demeure complètement désaccordée
au film original en transformant les voisins infectés en synonymes
de zombies, l’effet grossier de nous faire croire à une
conspiration gouvernementale vient rejoindre à son tour l’armada
hollywoodienne du film politisé. Grâce à la leçon
grandiloquente d’Avatar, il est apparemment sûr
que tout film est politique, que dès que l’on proposera
au spectateur affamé de sensationnalisme anti-bourgeois des discours
contre la pollution, l’intervention américaine en Irak
ou la récente crise financière, celui-ci se jettera sur
ce minime supplément. Non plus question de créer des récits
à valeur métaphorique, mais bien plus une façon
d’agrémenter de faux sang des créations artificielles
érigées à partir d’intentions tout aussi
discutables, d'acheminer des personnages évidés via des
dialogues qui ne commentent que l'action (au lieu de créer du
sens par leur propre énonciation), il y a en effet de quoi remettre
en question jour après jour les dernières tendances du
cinéma américain, qui n'a pourtant jamais fait autant
de profit. De quoi devenir fou et manger ses voisins.
Version française :
Les Détraqués
Scénario :
Scott Kosar, Ray Wright
Distribution :
Timothy Olyphant, Radha Mitchell, Joe Anderson,
Danielle Panabaker
Durée :
101 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
26 Février 2010