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THE COUNTERFEITERS (2007)
Stefan Ruzowitzky

Par Louis Filiatrault

«En avez-vous assez des films sur l'horreur nazie? Oui? Eh bien, rien que pour votre plaisir, en voici un autre, tout frais, tout chaud! Et comme s'il ne lui suffisait pas d'exister, il faut en plus qu'il essaie de se démarquer de ses pairs! Décidément, ces sacrés Allemands n'ont pas fini de se faire la poche en se roulant dans leur malheur...»

C'est là un aperçu du ton cynique sur lequel pourrait se décliner cette critique, du moins si son auteur estimait vraiment avoir fait le tour de la question nazie par le biais d'une poignée de films et de quelques notions de base. Mais le secret de la pérennité de l'Holocauste, au cinéma comme ailleurs, s'attribue à ce qu'elle semble receler toute une galaxie de micro-récits denses et plus ou moins autonomes, qui à leur tour se prêtent à toutes les reformulations, toutes les extrapolations. Caractères qui se conjugent à merveille dans Les Faussaires, production autrichienne récipiendaire de l'Oscar du meilleur film étranger en 2008, mais surtout lecture éloquente et singulière d'une page d'histoire, à la fois rigoureuse, modeste et très expressive.

Aucune publication un tant soit peu compétente ne manquerait de rappeler que Les Faussaires fait la chronique de l'opération Bernhard, cette opération de contrefaçon commandée par les Nazis durant la Deuxième Guerre et exécutée par des spécialistes recueillis dans les camps de concentration, puis isolés (mais mieux traités) dans un lieu cloisonné. Ce qu'elle négligerait peut-être de mentionner, c'est le point de vue et la forme particulière qui en font une oeuvre de valeur. Histoire d'hommes, d'êtres humains, avant tout, Les Faussaires laisse au spectateur la tâche de s'indigner du scandale et consacre ses énergies ailleurs: à la création d'une atmosphère de proximité, rarement ouvertement glauque mais certainement étouffante ; à un souci du détail matériel significatif ancrant fermement dans le réel un récit qui pourrait facilement nous sembler distant ; mais aussi, et peut-être surtout, à un enchaînement de scènes fortes et intelligentes, se jouant dans une belle variété de tons humanisant considérablement le propos.

Suite à un bref prologue inscrivant son récit dans un immense flashback, le film pédale à travers une évocation des années prospères de l'escroc soviétique Salomon Sorowitsch (Karl Markovics, dont la gueule n'a rien de celle d'une star), son arrestation par les forces et son transport dans les camps, avant de reprendre son souffle et de jeter l'ancre à Sachsenhausen. La principale stratégie de mise en scène est rapidement comprise: tout le film est vécu à la hauteur des prisonniers, ce qui n'implique aucune intervention extérieure d'un citoyen bienveillant ; aucun plan de paysage bucolique pour mieux séparer les séquences. Rien. Il en résulte un resserrement prononcé de l'esprit de camaraderie qui unit ces gens de métier et qui traverse plusieurs états, de la fête (une séquence de cabaret évoquant celle de La Grande Illusion) à l'angoisse (la scène, prenante, où les captifs font face à leur première douche). L'étude de l'acceptation des privilèges et de l'importance de la dignité laisse éventuellement place à un captivant conflit interne dont les pôles opposent l'engagement (passant par le sacrifice) et la solidarité (par la trahison de la patrie), et dont la résolution se situera quelque part entre les deux. Quant au « gros méchant », interprété avec intelligence par Devid Striesow, celui-ci n'est pas censé incarner le mal absolu (comme par exemple la création inoubliable de Sergi Lopez dans Le Labyrinthe de Pan), mais profite simplement de l'arrogance commune à tous les hommes jouissant d'une position de pouvoir. Toutes ces tensions psychologiques sont articulées clairement dans une habile narration en ellipses, en plus d'être résolument orientées dans le sens d'une démystification de l'Histoire (dont le décryptage reste néanmoins à la discrétion du spectateur).

Ceci dit, ce qui élève Les Faussaires au-dessus du simple devoir académique, c'est une expérience esthétique stimulante et franchement réussie selon ses propres termes. Au classicisme lisse et léché de l'excellent (et très différent) La vie des autres, par exemple, il oppose une image tremblotante, ne se refusant pas le plan-séquence, et une texture rugueuse, au grain épais, qui a tôt fait d'instaurer un climat de réalisme saisissant. Certes, une telle forme ne relève en rien du jamais-vu, mais seule une musique un peu trop insistante vient occasionnellement briser une illusion d'intrusion documentaire qui ne cède jamais à l'excès de saccade et garde en tête les facteurs «précision» et «efficacité».

En somme, Les Faussaires s'affirme comme un film dont l'intérêt est à la fois humain, documentaire et esthétique, en plus de se laisser regarder comme un charme. Si la tension dramatique vient à manquer légèrement dans les dernières séquences, le fil entre les épisodes se faisant de plus en plus ténu, le sentiment résultant n'est étrangement pas sans traduire l'épuisement certain éprouvé par les captifs au moment du débarquement des Alliés sur le Vieux Continent (moment où le récit prend fin). En fait foi une scène mystifiante où, reprenant le contrôle du camp, les juifs n'ayant pas bénéficié d'un traitement de faveur tiennent les faussaires en joue à quelques mètres des piles de cadavres jonchant le sol. Quelque part entre l'allégorie façon Good Bye Lénine! et l'évocation brute à la 4 mois, 3 semaines, 2 jours (nouvelle référence en la matière), le film de Stefan Ruzowitsky se taille sa propre niche et s'inscrit avec bonheur dans une lignée de cinéma historique européen dont les entrées s'avèrent parfaitement autosuffisantes, mais aussi joyeusement complémentaires. Décidément, une autre belle réussite pour le cinéma de langue allemande.




Version française : Les Faussaires
Version originale : Die Fälscher
Scénario : Stefan Ruzowitzky, Adolf Burger (livre)
Distribution : Karl Markovics, August Diehl, Devid Striesow, Martin Brambach
Durée : 98 minutes
Origine : Allemagne, Autriche

Publiée le : 21 Mars 2008