COP OUT (2010)
Kevin Smith
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Kevin Smith n'a pas réussi de film depuis 1999. Le constat mérite
d'être fait, car malgré sa piètre moyenne au bâton,
le cinéaste américain trouve coup sur coup le moyen d'éveiller
la curiosité d'un public qu'il déçoit pourtant
film après film. Tragique conséquence d'une simple nostalgie
refusant de se dissiper? Étrange amnésie du cinéphile
lésé? Chose certaine, depuis Dogma le réalisateur
de Clerks ne nous a plus donné de « film »
à proprement parler - que des répliques isolées
et quelques scènes entrecoupées par le nombre incalculable
de soupirs de désespoir poussés par son auditoire. Mais
force est d'admettre que même ses pires ratages possédaient
jusqu'ici une qualité rédemptrice en commun : tous étaient,
à ne pas s'y méprendre, signés Kevin Smith de bout
en bout. Leurs pires défauts étaient propres à
leur auteur, et leurs rares qualités éveillaient dans
le coeur des fidèles le souvenir fugace des réussites
du passé. Mais avec Cop Out le cinéaste franchit
une nouvelle étape de sa progressive descente aux enfers en signant
un film à toutes fins pratiques anonyme qui, à quelques
détails près, aurait pu être réalisé
par n'importe quel tâcheron espérant toucher son cachet
au bout de la ligne. Pour la première fois de sa carrière,
Smith met en scène un scénario qu'il n'a pas écrit
- ce qui en soi s'avère ridicule puisque l'écriture a
toujours constitué l'essentiel de son talent, aussi relatif soit-il.
Et, pour la première fois de sa carrière, il s'efface
derrière un film pour laisser des clichés (autres que
les siens) parler à sa place.
Cop Out, qui se veut un hommage aux comédies policières
des années 80, assume en quelque sorte qu'il n'est qu'un bête
ramassis de lieux communs, d'images maintes fois filmées et de
situations prévisibles. La toute première scène
du film l'affirme, par l'entremise du personnage qu'incarne Tracy Morgan
; avec un enthousiasme absent du reste de ce métrage long, plus
long en apparence que dans les faits, le « comique » du
tandem cite une série de répliques bien connues au cours
d'un interrogatoire hystérique que son partenaire Bruce Willis
observe avec la même nonchalance ennuyée qu'il traînera
d'un bout à l'autre du film. Il s'agit de l'une des rares occasions
où ce goût pour la culture populaire qui conférait
le gros de sa substance au style de Smith transparaît à
l'écran. Willis, confronté à une célèbre
ligne de Die Hard, admet qu'il ne sait pas de quel film celle-là
est tirée ; Morgan se définit par l'amalgame de succès
cinématographiques qu'il a dévoré ; et, par la
suite, le film s'essouffle en cherchant à relever le pari formel
de ressusciter un genre que l'on préférait sans conteste
mort et enterré. Le problème, c'est que l'hommage ne s'élève
jamais au-dessus du stade de la simple reproduction. Bien vite, nos
deux policiers se lancent à la poursuite d'une carte de baseball
rare qui atterrit finalement entre les mains d'un dealer de drogue mexicain
- et s'ils courent à gauche et à droite au rythme d'une
trame sonore signée Harold Faltermeyer, responsable du fameux
thème de Beverly Hills Cop, Kevin Smith ne pousse jamais
la référence plus loin.
Préférant se complaire dans son habituelle vulgarité,
tristement édulcorée pour les besoins d'une telle production
grand public, le réalisateur satisfait ici sa voix intérieure
« d'auteur » en étirant des tirades grossières
qui auraient au contraire méritées de rester courtes (ou
mieux encore d'être coupées) et cède finalement
le contrôle de son film à Tracy Morgan. L'acteur, qui n'est
tout bonnement pas de la trempe d'un Eddie Murphy au sommet de sa forme,
s'en donne donc à coeur joie en multipliant les pitreries irritantes
tandis que son acolyte plus habitué à la compagnie des
explosions s'efface dans un non-jeu parfaitement abyssal. Il n'y a tout
bonnement aucune chimie entre les deux comédiens, qui ne partagent
que l'écran alors que la réussite même de ce genre
de « buddy movie » repose presque exclusivement sur le type
de complicité qui fait cruellement défaut ici. L'autre
ingrédient de la recette, l'enquête policière, est
quant à lui si mal apprêté par Smith qu'il ne devient
qu'un obstacle à la cohérence précaire de l'ensemble
; et les intrusions de l'intrigue ne font qu'ajouter à la pénible
absence de rythme d'un film où les maladresses auxquelles nous
a habitués le réalisateur n'ont plus rien d'attachant.
Que Cop Out soit une machine, voilà qui au fond ne nous
surprend pas. Mais Kevin Smith n'a pas le savoir-faire technique nécessaire
pour qu'elle fonctionne selon les standards industriels établis
par le manufacturier. Ses séquences d'action sont lourdes, laborieuses;
elles ralentissent un film qui déjà ne fait que du surplace,
scène après scène.
Par conséquent, ce désastre ne possède ni les qualités
requises pour fonctionner dans le créneau mercantile qui est
le sien, ni les particularités nécessaires pour s'en distinguer
même marginalement et ainsi satisfaire les rares individus chez
qui le nom de Kevin Smith est encore synonyme de certaines attentes
aussi quelconques soient-elles. Mais, au fond, pourquoi espère-t-on
encore quoi que ce soit de la part d'un cinéaste dont le malaise
créatif s'avère si persistant? Est-il temps d'abandonner
une bonne fois pour toute le « cas » Kevin Smith? Chose
certaine, Cop Out donnera aux tenants de cette théorie
les munitions nécessaires pour clore leur argumentation sans
droit de réplique possible ; et les derniers fanatiques restant
n'auront plus qu'à espérer un miracle suite à un
dérapage de cette ampleur. Cop Out constitue l'exact
moment où Smith abandonne l'ambition même de réaliser
un « bon » film, se complaît dans le pastiche d'un
genre qui d'emblée n'a rien de très inspirant et respecte
la formule préétablie sans même considérer
la possibilité de la chambouler un peu. Incarnant tout ce contre
quoi son cinéma indépendant parfois bête, mais toujours
honnête, d'antan cherchait à s'opposer, cette trahison
en bonne et due forme pourrait se justifier de maintes façons
: par le fait qu'elle n'a pas été écrite par Smith,
notamment, et qu'il n'est ici qu'un pauvre mercenaire cynique armé
d'une caméra. Mais, en bout de ligne, il s'agit tout simplement
d'un divertissement exécrable - aussi violent que stupide - qui
donne l'impression que des films comme 48 Hours et Lethal
Weapon sont des chefs-d'oeuvre de finesse et d'intelligence. Voilà
un faux-pas qui sera particulièrement difficile à pardonner.
Version française :
Flics en service
Scénario :
Robb Cullen, Mark Cullen
Distribution :
Bruce Willis, Tracy Morgan, Juan Carlos Hernández,
Cory Fernandez
Durée :
107 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
5 Mars 2010