THE CONSTANT GARDENER (2005)
Fernando Meirelles
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Au Kenya, un diplomate britannique réservé (Ralph Fiennes)
apprend que sa femme Tessa (Rachel Weisz, franchement radieuse), une
jeune activiste qui n'a pas l'habitude de garder sa langue dans sa poche,
a été assassinée lors d'une expédition nébuleuse
dans une région isolée du pays. Si plusieurs soutiennent
qu'un présumé amant de celle-ci porté disparu depuis
le meurtre en est probablement l'auteur, le veuf éploré
sent qu'il y a anguille sous roche et en vient à suspecter les
hauts dirigeants d'une multinationale de l'industrie pharmaceutique
d'avoir fait ordonner ce crime sordide. Son enquête le projettera
dans une toile complexe de manigances et de connivences aux ramifications
multiples.
Après avoir estomaqué en 2002 à peu près
tout le monde grâce à son merveilleusement bien asséné
Cidade de Deus, Fernando Meirelles avait avec ce nouveau film
la tâche ardue de nous faire accepter un autre univers que celui
des favelas brésiliennes comme étant le sien. En ce sens,
The Constant Gardener est un choix quelque peu conservateur
puisqu'il capitalise sur cette image de voix du tiers-monde à
laquelle on associe déjà Meirelles. C'est en Afrique que
le réalisateur a décidé de camper sa première
production américaine, un hybride intéressant entre le
cinéma d'auteur et le suspense populaire. Une Afrique cruelle,
sans foi ni loi, celle-là même où l'on suspecte
très sérieusement la pétrolière Shell d'avoir
encouragé la pendaison d'activistes écologistes nigériens
qui s'opposaient à ses projets de développer un site d'excavation
de gaz naturel en plein coeur d'un territoire sacré ancestral.
Bref, une véritable jungle où l'on n'a pas à creuser
longtemps avant de mettre à jour les atrocités du monde
moderne.
Si l'efficace Constant Gardener assimile les traits plutôt
convenus du thriller politique de même que la plume de la poule
à best-sellers John Le Carré, c'est pour rendre plus attrayant
à un grand public une véritable attaque en règle
contre les actionnaires de misère de l'industrie pharmaceutique.
S'il est un commerce plus cruel que celui de la mort, c'est celui de
la vie. Or, le moins que l'on puisse souligner c'est que les grandes
entreprises qui parlent de santé en terme de profits ont les
mains maculées de sang et la conscience entachée par une
véritable anthologie en plusieurs volumes d'actes à l'éthique
non seulement discutable mais carrément inexistante. Que ce soit
en faisant breveter un nombre sans cesse croissant de formes de vie
sans se soucier des cultures aborigènes déjà établies
autour de celles-ci ou en procédant à des tests sur les
habitants malades des pays les plus démunis du globe, ce monopole
mercantile sur la vie humaine a amplement mérité sa place
peu enviable dans le palmarès des commerces les plus repoussants
que compte notre joli capitalisme mondial amoral, avec en guise de charmante
compagnie les marchands d'armes et de tabac.
Au niveau stylistique, The Constant Gardener ne dépaysera
pas les habitués du style vif et nerveux de Meirelles et en confirme
les éléments clés, à commencer par cette
chronologie non linéaire qu'il utilise encore une fois avec parcimonie.
Si certains critiques vont sans doute se plaindre que son esthétique
grouillante et parfois carrément violente n'est pas aussi intimement
liée au propos de ce film qu'à celui du sauvage Cidade
de Deus, elle demeure la signature visuelle relevée d'un
réalisateur hautement doué. En fait, Meirelles s'avère
l'un des rares cinéastes à exploiter à bon escient
ces caméras à l'épaule secouées dans tous
les sens que l'on voit si souvent à l'écran par les temps
qui courent, une mode vide et franchement surexploitée qu'il
a le mérite d'investir d'un sens en plus d'en dénicher
la beauté fougueuse. Ici, Meirelles exacerbe le contraste entre
les milieux riches, filmés avec un classicisme élégant,
et les milieux pauvres dans lesquels il plonge avec passion, renouant
avec la dynamique désorientée mais merveilleusement contrôlée
des meilleures scènes de Cidade de Deus.
Cela dit, le scénario de Jeffrey Caine se penche peut-être
un peu trop longtemps sur la relation entre Tessa et Justin. Qu'à
cela ne tienne. The Constant Gardener est d'abord et avant
tout remarquable parce qu'il ose livrer dans un emballage attirant un
propos tout aussi ébranlant que celui du film précédent
de Meirelles. De plus, le réalisateur évite ici le portrait
larmoyant du tiers-monde auquel on a si souvent droit pour plutôt
révéler l'hypocrisie carnassière du monde de l'aide
internationale. Au royaume des aveugles, le voilà en croisade
pour ouvrir les yeux de ceux qui sont prêts à voir les
choses telles qu'elles le sont. Pour une poignée de dollars,
on ferait tout en ce bas monde. Feindre l'inconscience, c'est sombrer
dans la complicité. À défaut de réitérer
l'exploit de Cidade de Deus, Meirelles nous livre un thriller
qui se devait d'être fait. Ce n'est pas tous les jours qu'un divertissement
de masse peut se vanter de mener une si noble mission à bon port
ou d'être un essentiel.
Version française : La Constance du jardinier
Scénario : Jeffrey Caine, John Le Carré (roman)
Distribution : Ralph Fiennes, Rachel Weisz, Hubert Koundé,
Danny Huston
Durée : 129 minutes
Origine : États-Unis, Royaume-Uni
Publiée le : 10 Septembre 2005
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