CONGORAMA (2006)
Philippe Falardeau
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Philippe Falardeau s'était fait remarquer au début du
millénaire avec La Moitié gauche du frigo, ingénieux
faux-documentaire sur les déboires d'un jeune chômeur espérant
renouer avec le marché du travail. Tout en dénonçant
la nature avaricieuse du capitalisme, le film portait un regard fasciné
sur le personnage interprété par Paul Ahmarani; incapable
de faire la promotion de sa propre personne auprès de ses employeurs
potentiels, c'était l'underachiever commun d'Amérique.
Son documentariste amateur, Stéphane, voilait pour sa part son
oisiveté dans de vagues principes politiques à demi sentis.
En dernier recours, il s'appropriait la vie de son colocataire pour
s'oublier. Les personnages de Congorama sont pris dans le même
bourbier que ceux de La Moitié gauche du frigo. Incapables
de vivre pleinement leurs propres aspirations, ils s'abandonnent à
celles des autres; Louis (Ahmarani, une fois de plus) en sacrifiant
ses propres projets pour défendre ceux de son père et
Michel (Olivier Gourmet) en délaissant ses propres inventions
pour voler celle d'un autre. Au fond, les personnages de Falardeau souffrent
de leurs incertitudes identitaires. Michel, adopté par un écrivain
belge, découvre qu'il est Québécois; son fils métis
s'interroge sur ce qu'il a hérité de son père.
Le motif unissant toutes ces pistes narratives éparses, c'est
d'ailleurs cette figure récurrente du père absent devenue
dans les dernières années l'ultime objet du cinéma
québécois. Sans nous épuiser vainement dans l'espoir
d'être exhaustifs, citons les Mémoires affectives
de Francis Leclerc où elle servait d'élément clé
à la résolution de l'intrigue, l'explosif Petit Pow!
Pow! Noël où Robert Morin proposait en quelque sorte
l'ultime confrontation entre le père absent et le fils abandonné
ainsi que l'oeuvre entière de Sébastien Rose (Comment
ma mère accoucha de moi durant sa ménopause, La
Vie avec mon père) qui aborde le sujet sans passer par quatre
chemins. Congorama est une expression de tous les malaises
d'un Québec qui, une fois de plus, ne sait pas trop ce qu'il
est. C'est l'autre Falardeau qui doit s'en mordre les doigts jusqu'au
sang.
S'aventurant dans le monde dangereux de la production d'envergure populaire,
Philippe Falardeau fait preuve avec son Congorama d'une belle
maturité et d'un doigté admirable compte tenu des cinq
millions de dollars mis à sa disposition. Avec un sens du compromis
empreint de subtilité, son film s'approprie le juste milieu entre
l'humour et le drame. Qui plus est, Falardeau se permet plusieurs jeux
formels ambitieux avec cette oeuvre en trois temps qui se refuse à
affirmer un présent pour se satisfaire des abstraites mentions
« deux ans plus tôt / deux ans plus tard ». Le premier
segment tenant du road movie est presque Jarmusch-ien dans sa manière
d'explorer la terre natale par les yeux de l'étranger. Par la
suite, Falardeau s'amuse à entrecroiser les destins à
la manière d'un Alejandro Gonzalez Iñàrritu pour
finalement clore le film sur un troisième chapitre riche en tensions
dramatiques fortes.
Direction photo soignée signée André Turpin, distribution
sympathique s'écartant des choix conventionnels, scénario
finement construit, forme résolument moderne: en plein coeur
d'une année désolante où le cinéma québécois
a tout sauf le vent dans les voiles, ce film d'auteur produit avec des
moyens de blockbuster local a tout pour satisfaire les cinéphiles
ainsi que le grand public. S'éloignant des grands centres urbains
pour renouer avec le Québec rural, Congorama pose un
regard insolite sur ses paysages défigurés par l'absence
de sens esthétique et leur restitue une beauté atypique.
Falardeau y glisse une ébauche de propos politique en renouant
par des voies détournées avec le thème de l'éthique
des grandes entreprises privées. Mais son automobile électrique
n'est en fin de compte qu'un MacGuffin hitchcockien dont les enjeux
planétaires sont vite ramenés à une échelle
personnelle. D'abord et avant tout, Congorama renoue de manière
inspirée avec notre nouvelle vieille obsession.
Version française : -
Scénario : Philippe Falardeau
Distribution : Olivier Gourmet, Paul Ahmarani, Jean-Pierre Cassel,
Claudia Tagbo
Durée : 105 minutes
Origine : Québec, Belgique, France
Publiée le : 18 Octobre 2006
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