LE COEUR AU POING (1998)
Charles Binamé
Par Jean-François Vandeuren
Le Cœur au poing est le deuxième épisode
de la trilogie sur la solitude urbaine du cinéaste Charles Binamé.
Même Montréal, même mal de vivre… ou presque.
Dans un monde devenu si anonyme et décalé, comment entre-t-on
en contact avec autrui? Pour sa part, Louise inventa un jeu. Elle aborde
une personne au hasard dans la rue en se présentant sous le nom
de Rose. Elle s’offre alors complètement à elle
pendant une heure. Peu importe ce qu’elle lui demande, Rose doit
le faire. Une fois l’heure terminée, elle se sauve et ne
revoit jamais la personne. Mais ce jeu n’a-t-il vraiment aucune
limite ou conséquence? Binamé délaisse ici les
élans de film choral de son sombre et torturé Eldorado
pour faire le portrait d’un individu en particulier. Il fait une
fois de plus confiance à la comédienne Pascale Montpetit
pour incarner ce tout nouveau personnage qui, en soi, a beaucoup de
points en commun avec la Henriette qu’elle interpréta de
façon désarmante dans le premier tome de la série.
Pour l’aider dans sa tâche, Binamé s’associa
à l’écrivaine Monique Proulx, chez qui la difficulté
du quotidien en milieu urbain est un thème récurant.
Le duo apporte une touche assez originale à cet ensemble plus
froid et dramatique en créant un parallèle pour le moins
surprenant avec la bande dessinée. Ce détail se fait surtout
sentir dans la façon dont Louise se dédouble pour donner
naissance à son alter ego (Rose) et ainsi sortir de sa carapace
et peut-être même faire le bien autour d’elle. Binamé
et Proulx développent une ambiguïté particulièrement
pertinente autour de cette idée lorsque Rose aura réellement
l’occasion d’améliorer la vie des individus qu’elle
aborde, mais sera contrainte (étrangement pour le mieux) de les
abandonner à leur triste sort une fois leur temps écoulé.
Le Cœur au poing pose ainsi diverses questions sociales
de plus en plus importantes par rapport à ce que les gens en
général recherchent et désirent partager aujourd’hui
avec un autre être humain. Comment suit-on le courant lorsque
le monde tourne à une vitesse aussi folle? Les possibilités
sont nombreuses, mais peut-on vraiment toutes les prendre en considération
en si peu de temps? Heureusement, Binamé et Proulx ne tombe pas
ici dans la morale ingrate. C’est plutôt avec recul qu’ils
nous font anticiper les événements, autant pour leur sens
que leur impact sur les différents personnages.
L’approche de Charles Binamé sur le plan de la mise en
scène n’a pas énormément changée par
rapport à Eldorado. Le réalisateur imbibe sa
caméra de la même énergie et d’une spontanéité
des plus surprenantes, mais à des fins beaucoup moins sombres.
Binamé misa aussi énormément sur un montage rapide
mélangeant divers épisodes du jeu de Rose avant de se
concentrer sur l'un d'eux en particulier. Même si cette formule
devient quelque peu redondante, elle met tout de même bien en
valeur l’objectif et les problèmes résultant de
cette initiative. Binamé réintègre ensuite tout
le chaos qui émanait d’Eldorado en plongeant Louise
dans une perte d’illusion pour le moins brutale. L’impact
de cette descente aux enfers se voit par contre grandement diminué,
car il est parfois difficile de déterminer si le cinéaste
ne tenta pas plutôt d’introduire au même moment le
plus de vedettes québécoises possible, passant ici de
Pascale Bussières (autre clin d’œil à Eldorado)
à Luc Picard, pour ne nommer que ceux-ci.
Même si l’effort prend en charge un nombre plus restreint
de personnages, ce deuxième opus s’éparpille beaucoup
plus que son prédécesseur. Les idées mises en place
par Binamé sont pourtant significatives, mais ce dernier semble
pris entre deux pôles et ne sait pas toujours vers lequel se tourner
pour en exploiter tout le potentiel. Peut-être est-ce par manque
de protagonistes. Il faut dire que nous sentons parfois que Louise et
son entourage ne peuvent porter à eux seuls tout le contenu que
Binamé et Proulx désirent mettre en relief. Le Cœur
au poing nous laisse d’ailleurs sur une finale dont la portée
s'avère beaucoup moins imposante que celle d’Eldorado.
Celle-ci tend en ce sens vers le même genre d’ambitions
tout en sachant que le tout ne peut prendre fin que sur la conclusion
d’un seul univers. Binamé oscille alors entre le pessimisme
pur et dur et l’optimisme un peu lâche. Même si cette
finale a sa raison d’être et est tributaire autant de l’œuvre
du réalisateur que de Monique Proulx, nous ne pouvons que la
remettre sérieusement en question.
Version française : -
Scénario :
Charles Binamé, Monique Proulx
Distribution :
Pascale Montpetit, Anne-Marie Cadieux, Guy Nadon,
Guylaine Tremblay
Durée :
97 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
25 Juin 2006