COCO AVANT CHANEL (2009)
Anne Fontaine
Par Clara Ortiz Marier
Près d’un siècle après l’ouverture
de ses premières boutiques, que reste-t-il de Coco Chanel? Après
avoir traversé deux guerres mondiales, créé et
innové pendant plusieurs décennies, rivalisé avec
les créateurs les plus importants dans le domaine et survécu
aux multiples changements de modes et de tendances, quelle place la
prestigieuse Maison Chanel garde-t-elle dans nos esprits? Pour la plupart
d’entre nous aujourd’hui, cette marque de renom représente
chic et luxure. Le domaine de la haute couture, avec ses défilés,
ses mannequins et ses prix exorbitants, semble parfois surréel,
lointain, et inatteignable; une sphère à part réservée
à l’élite et difficilement pénétrable
pour qui ne naît pas avec un certain statut social. Alors comment
pourrait-on soupçonner que Coco Chanel, créatrice mondialement
réputée, soit née et ait grandi dans la misère
et la pauvreté? Avec ce film biographique portant sur Gabrielle
Chanel (interprétée par Audrey Tautou), Anne Fontaine
nous présente la vie de cette grande dame avant qu’elle
ne soit reconnue en tant que créatrice et styliste de mode.
Ainsi, le film s’ouvre sur l’enfance de Gabrielle qui, âgée
d’une dizaine d’années, se fait placer dans un orphelinat
avec sa soeur Adrienne. Leur père pauvre et veuf ne reviendra
jamais les chercher ni même les visiter. Dans cette séquence
d’ouverture, les balises du film sont déjà fixées.
Bien que Coco, on le sait, sera un jour célèbre et fortunée,
Fontaine préfère ici attirer notre attention sur les débuts
difficiles de sa protagoniste, cette femme véritablement partie
des plus bas échelons de la société mais dont l’histoire
suit un peu le mythe américain du « self made man
» féminin. Quelques bonds chronologiques permettent donc
de mettre en place cette histoire qui commence dans la misère
et se termine dans la gloire. Gabrielle passe de l’orphelinat
à l’atelier de couture où elle est placée
comme apprentie, puis se retrouve à chanter dans un petit café-concert
où elle se fait donner le surnom « Coco » en raison
d’une chanson qu’elle interprète avec sa soeur. C’est
à cette époque qu’elle rencontre Etienne Balsan
(Benoît Poelvoorde), ancien officier et éleveur de chevaux
bien nanti qui lui portera un certain intérêt. Ne croyant
pas à l’amour, Coco ne se laisse pas facilement approcher
par les hommes. Déterminée et aspirant à une vie
meilleure, Coco s’invite un jour chez Balsan, chez qui elle s’incrustera,
faute d’un autre endroit où aller. C’est chez Balsan
qu’elle aura ses premiers contacts avec le monde de la haute bourgeoisie,
qu’elle méprisera pour ses fêtes et ses plaisirs
futiles, ses conventions et ses standards vestimentaires imposant à
la femme corsets, plumes et froufrous. Cette réalité vient
renforcer les convictions de Coco ; refusant de se conformer à
cette image de la féminité, son désir de transgresser
les règles en est décuplé. Ses audaces vestimentaires
et ses chapeaux, qu’elle confectionne elle même, attirent
l’attention. Puis c’est la rencontre d’Arthur Capel,
un riche homme d’affaires surnommé « Boy »,
qui ne tarde pas à être charmé par la personnalité
de Coco. Boy l’encourage dans ses projets de création et
lui donne les moyens de lancer sa carrière dans le monde de la
mode. Coco qui ne croyait pas à l’amour, se voit détrompée.
Cette relation représente un point tournant dans sa vie, mais
se termine de manière tragique, la laissant profondément
blessée.
Pendant près de deux heures, Fontaine nous raconte l’ascension
de son héroïne et nous présente cette histoire, qui
semble vouloir se terminer en conte de fée, mais qui vire finalement
au drame. Se déroulant au début du XXe siècle et
couvrant principalement les trente premières années de
la vie de Coco Chanel, ce film à la facture très traditionnelle
est tout de même assez réussi d’un certain point
de vue esthétique. Dans la catégorie du film d’époque
(portant de surcroît sur une créatrice de mode en devenir)
on ne peut s’empêcher de remarquer l’attention portée
aux vêtements et accessoires. Des robes anciennes en dentelle
aux chapeaux à perles et à plumes, on ne peut que constater
le remarquable travail fait à ce niveau. Les tenues et créations
de Coco s’opposent radicalement à l’esthétique
vestimentaire de l’époque et détonnent d’autant
plus. Coco était une femme avant-gardiste et audacieuse qui a
réussi à introduire dans la garde-robe féminine
le pantalon, la marinière et la désormais célèbre
« petite robe noire », vêtements qui contrastaient
nettement avec les standards de l’époque. L’audace
de cette créatrice se manifestait par son goût pour la
simplicité. Paradoxalement, le film de Fontaine est simple, certes,
mais sans pour autant être audacieux.
C’est d’ailleurs le grand défaut du film, qui nous
présente l’histoire de cette grande dame novatrice et visionnaire
en adoptant une mise en scène tout à fait classique. Fontaine
ne prend pas vraiment de risques avec ce film qui reste très
lisse, simple et en surface. La dernière scène du film
nous laisse entrevoir une Coco fière et « victorieuse »
mais à la fois amère et blessée. Cette fin nous
laisse un peu en suspend et ne nous donne pas l’impression d’avoir
vraiment percé le mystère de Coco Chanel. Sans atteindre
le coeur du personnage, le film ne fait que dépeindre un portrait
de surface. Le personnage de Coco reste au final assez sombre et difficile
à aborder, ce qui explique peut-être cette distance face
au sujet. Difficile de la rendre foncièrement attachante et difficile
pour le spectateur de vraiment s’y identifier. C’est à
se demander si Audrey Tautou, avec la sobriété de son
jeu, rend vraiment justice au personnage. Coco Chanel n’était
pas une femme simple et a manifestement dû faire preuve de beaucoup
d’acharnement et de passion pour arriver à ses fins. Mais
cette passion ne se ressent pas dans le film, ou parvient tout juste
à se concrétiser dans les quelques scènes qui réunissent
Coco et Boy. Mais même ces passages tournent à plat dans
un style qui se rapproche dangereusement du roman à l’eau
de rose. Ce film portant sur une des grandes femmes du dernier siècle
manque malheureusement d’audace. On nous dévoile la femme
derrière le mythe, sans toutefois parvenir à donner une
profondeur au personnage. Dès lors, le portrait ne se révèle
pas à la hauteur de la légende que l’on connaît.
Version française : -
Scénario : Anne Fontaine, Camille Fontaine, Edmonde Charles-Roux
(livre)
Distribution : Audrey Tautou, Benoît Poelvoorde, Alessandro
Nivola, Marie Gillain
Durée : 105 minutes
Origine : France
Publiée le : 2 Octobre 2009
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