CLOVERFIELD (2008)
Matt Reeves
Par Jean-François Vandeuren
La prémisse de Cloverfield (tout comme sa spectaculaire
mise en marché, d’ailleurs) avait tout pour susciter de
très fortes attentes autant au sein du public que de la critique.
Filmé à hauteur d’homme à l’aide d’une
« simple caméra amateur », ce spectacle de destruction
massive se voulait évidemment un pari audacieux, mais tout de
même assez risqué. Cela explique peut-être pourquoi
les producteurs décidèrent de sortir le film au cours
de la saison morte plutôt que de l’envoyer dans l’arène
au beau milieu de la période estivale. Comme toute bonne catastrophe
qui se respecte, c’est dans les rues de New York que se déroule
se croisement pour le moins inusité entre Godzilla et
The Blair Witch Project. Tout comme le film de Daniel Myrick
et Eduardo Sánchez, la dernière initiative du producteur
J.J. Abrams simule le visionnement d’une cassette vidéo
retrouvée par les autorités américaines dans les
ruines de Central Park à la suite d’un incident majeur
que ces derniers baptisèrent « Cloverfield ». Après
quelques extraits de nature plus personnelle, l’enregistrement
relatera la fête organisée en l’honneur de Rob Hawkins
(Michael Stahl-David), un jeune homme d’affaire sur le point de
déménager au pays du soleil levant. La soirée prendra
toutefois une tournure inattendue lorsque diverses explosions se produiront
un peu partout à travers la ville. Accompagné de trois
amis, Rob tentera après coup de faire son chemin jusqu’à
la femme qu’il aime pour la sortir du pétrin et l’amener
en lieu sûr. Mais l’escapade ne se déroulera pas
tout à fait comme prévu alors que la cause de tout ce
brouhaha se révélera être une créature monstrueuse
aux proportions démesurées.
La scénarisation de cette méga-production à la
forme on ne peut plus inhabituelle fut confiée à Drew
Goddard, un collaborateur de longue date d’Abrams qui avait participé
par le passé à l’écriture de certains épisodes
des séries Lost et Alias. À défaut
d’offrir un contenu un peu plus substantiel, ce dernier élabora
un récit d’une grande efficacité dramatique en tenant
parfaitement compte des nombreuses contraintes techniques avec lesquelles
il devait composer. À la manière du fameux Signs
de M. Night Shyamalan, Cloverfield illustre une situation hors
du commun telle que vécue par des gens ordinaires qui feront
tout pour fuir la menace avec laquelle ils sont aux prises plutôt
que de chercher à la confronter directement. Si le fil conducteur
du présent effort demeure somme toute assez mince, il sert néanmoins
avec aplomb le parcours des plus frénétiques que devront
suivre les quatre principaux personnages du film, tous interprétés
d’une manière étonnamment naturelle par une distribution
judicieusement formée d’acteurs encore à leurs premiers
balbutiements. Mais ce qui retient surtout l’attention dans ce
cas-ci est évidemment le traitement de l’action, et plus
particulièrement la façon dont Goddard et le réalisateur
Matt Reeves réussirent à faire progresser leur intrigue
en suivant deux approches foncièrement différentes –
l’une devant nous amener au cœur du conflit et l’autre
ayant pour but de nous en éloigner par tous les moyens possibles
et inimaginables – sans que le rythme de l’ensemble n’en
soit jamais affecté.
La mise en scène on ne peut plus turbulente de Matt Reeves rebutera
évidemment tous ceux qui avaient été incapables
de supporter la constante instabilité de l’image dans The
Blair Witch Project. Mais même si elle ne filme souvent rien
de précis, la caméra de ce dernier évoque néanmoins
avec fougue le climat de terreur s’installant progressivement
à l’intérieur de la cité. Si ces images floues
et saccadés rappellent inévitablement des événements
sur lesquels nos voisins du Sud n’ont toujours pas réussi
à tourner la page, les deux cinéastes ne cherchent fort
heureusement jamais à donner un quelconque sens politique à
leurs élans, lequel aurait été définitivement
de trop dans le cas présent. Le duo fera également preuve
de retenue dans la façon dont il dévoilera les traits
de sa créature en ne se permettant que quelques stratagèmes
visuels particulièrement adroits pour étancher la soif
d’un public auquel on demande de plus en plus rarement de faire
preuve d’imagination dans une salle de cinéma. Si l’on
accusa les cinéastes responsables de la plupart des films d’action
hollywoodiens des dernières années de n’illustrer
les hauts moments de tension de leur récit que par le biais d’une
surdose de prises épileptiques assemblées d’une
manière tout aussi nerveuse, l’emploi d’une facture
visuelle aussi brouillonne et approximative se révèle
ici des plus pertinents. Il faut dire que la réussite de Cloverfield
réside presque entièrement dans la façon dont Reeves
et son équipe parvinrent à orchestrer un spectacle de
démolition aussi convaincant en déployant une horde d’effets
visuels et sonores d’une qualité exceptionnelle à
partir d’une mise en scène pourtant tout ce qu’il
y a de plus rudimentaire.
En ne capitalisant que sur la dimension spectaculaire de leur récit,
Goddard et Reeves ne cherchaient visiblement pas à alimenter
la moindre forme de débat social, comme avaient pu le faire certains
essais du genre dans les années soixante face à la montée
du nucléaire ou même le plus récent The Host
de Joon-ho Bong qui tenait pour sa part un savant discours à
teneur écologique et antimilitaire. Malgré tout, nous
devons bien reconnaître qu’en termes d’efficacité
dramatique, Cloverfield remporte son pari haut la main. Certes,
le film de Matt Reeves ne réinvente aucunement la roue, mais
renouvelle tout de même de belle façon les concepts qu’il
récupère de par leur simple association. Le réalisateur
joua tout aussi habilement la carte de la suggestion en mettant beaucoup
plus l’emphase sur la situation critique de ses protagonistes
que sur la forme ou même l’origine de sa bestiole. À
défaut d’être nécessairement profond, le traitement
psychologique des différents personnages demeure suffisamment
dépouillé pour que le destin de ces derniers finisse par
nous tenir à coeur. À l’opposée totale de
la facture minimaliste de Myrick et Sánchez, le dévoilement
des quartiers en ruine de l’île de Manhattan tel que mis
en scène par Matt Reeves ne peut néanmoins que glacer
le sang. Jamais un film de monstre aussi chaotique n’aura paru
si riche et viscéral sur le plan visuel. S’il ne s’élève
jamais plus haut que son statue de simple divertissement, Cloverfield
demeure un produit de haute qualité qui saura satisfaire au plus
haut point le spectateur averti, et surtout bien conscient de la forme
du spectacle avec laquelle il s’apprête à entrer
en contact.
Version française :
Cloverfield
Scénario :
Drew Goddard
Distribution :
Lizzy Caplan, Jessica Lucas, T.J. Miller, Michael
Stahl-David
Durée :
88 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
31 Janvier 2008