THE CLONE RETURNS HOME (2008)
Kanji Nakajima
Par Mathieu Li-Goyette
On s'attend de la science-fiction qu'elle libère l'esprit critique
des cloisons du monde réel. Qu'elle soit en mesure d'apporter,
sous l'extrapolation du monde réel, un nouvel argumentaire basé
sur la supposition et l'anticipation. Pourtant, la science-fiction est
de nos jours remisée au film-opéra établi depuis
la célèbre trilogie de La Guerre des Étoiles.
Sans jouer les nostalgiques, c'était chez Asiimov, Hebert, Wells,
qu'elle trouvait son penchant littéraire le plus pertinent tandis
que le cinéma, avant la venue du travail de Tarkovski - il existe
de rares exceptions, j'en conviens - n'avait que faire de l'exercice
plus philosophique que nécessairement dépaysant. Et c'est
au Japon que le cinéaste Kanji Nakajima est parvenu à
mettre à l'écran The Clone Returns Home avec
la puissance lyrique et l'intelligence que le genre n'avait pas reçu
depuis plusieurs années venant d'un pays généralement
plus réputé pour sa vision du présent conjuguée
au passé. Cinéphile, Nakajima s'est allié à
Wenders dans le siège de producteur exécutif pour réussir
l'exploit en partant de la simple idée du clonage comme police
d'assurance. On offre la deuxième chance à Kohei, astronaute
d'élite, partant pour l'espace dans une mission suicidaire. Il
accepte, lors de son décès sa femme refuse la résurrection
du mari pour céder face aux magnats de la science qui, en exploitant
la possibilité de recréer l'homme entier, se bute aussi
au transfert de sa mémoire et à l'impossibilité
d'extraire l'âme du cobaye. Heureusement, le film de Nakajima
n'est pas non plus un tract contre le clonage, il est bien plus une
raison d'aborder la composition cellulaire de la psyché humaine,
de son essence et de l'humanité comme matière tangible.
Ainsi, un unique et merveilleux descendant de l'humanisme d'après-guerre
japonais, The Clone Returns Home poursuit les anagrammes de
la ligne et du cercle. Le double cloné qui revient est ainsi
le fantôme du jumeau décédé de l'astronaute.
L'enfant Kohei a perdu le frère Noboru dans une rivière
et c'est du malentendu que provient une cicatrice rectiligne sur la
main gauche du futur cloné qui servira à l'identifier.
Troublé, il dissimule sa tristesse dans les bras de sa mère
et le souvenir le plus fort qu'il garde d'elle, un verre d'eau et le
cillement provoqué par le glissement du liquide sur les rebords
du réceptacle qui agit comme la rime circulaire de toute l'oeuvre.
Ligne et cercle, vie et résurrection, la deuxième tentative
(est-ce seulement la deuxième?) parvient à recréer
cette même cicatrice et à insuffler au clone la mémoire
et la tristesse accablante de son passé. La ligne recourbée
forme le cercle, traumatisme d'une époque révolue qui
vient à bout des espoirs des clones précédents.
Pour s'échapper de la circularité du raisonnement de l'homme,
pour isoler les particularités de l'âme, Kohei doit retracer
le parcours de son existence à partir à la recherche du
fantôme de son jumeau disparu longtemps symbolisé par une
combinaison spatiale vide retrouvée par le premier clone. Ce
n'est qu'en faisant un retour en arrière qu'il peut replier la
ligne de vie et la faire repasser sur elle-même puisqu'au bout
du périple (marché par le «deuxième clone»),
Kohei reprend la carcasse fantôme de l'astronaute échoué
et repart dans la même direction. Allers et retours sur le même
chemin, la linéarité de la vie prends forme et confirme
que l'âme est une affaire de destin plutôt que de science.
Le deuxième clone est parvenu au bout du périple parce
qu'il n'avait pas le fardeau de la carcasse à porter sur son
dos, il n'avait que la curiosité de retrouver les mémoires
qu'il avait momentanément abandonné et, lorsqu'il se remet
en marche avec le cadavre retrouvé dans cette lointaine brume,
la mort reste peut-être l'épilogue le plus sensé.
Les symboles sont inhérents à la composition du film à
la façon d'un poème allégorique. Chaque rime recrée
l'événement passé tout en étant quelque
peu différente et en apportant une certaine progression à
l'expressivité du cinéaste. Ce dernier, s'il en est à
son premier film, a aussi accompli la prouesse de l'hommage. Peut-être
inconsciemment pense-t-on à Ozu et aux enfants de ses comédies
muettes lors des scènes de souvenirs, c'est surtout le travail
spirituel et iconographique de Tarkovski et d'Imamura qui hante véritablement
le film. Souvent empruntés aux chef-d'oeuvres Stalker,
Le Sacrifice et Solaris, les compositions voulues
par Nakajima centrent des éléments précis de poésie
au centre d'un cadre romantique qui place d'hors et déjà
son aventurier vers l'inconnu. Un arbre isolé, une Terre gelée
dans l'espace, des décombres sans noms à perte de vue,
c'est aussi en ce sens que le Japonais se rapproche du Soviétique:
l'homme face à l'Univers, mais finalement face à Dieu.
En questionnant de nouveau la légitimité du clonage et
de la création, les scientifiques qui jouent à la création
en boîte servent surtout de base à une réflexion
qui s'attaque au Seigneur qui aurait crée ces créatures.
À partir du moment où celles-ci sont capables de reproduction
identique et artificielle, le rôle du créateur est-il aussi
nécessaire? Au sens propre (c'est de la science-fiction après
tout) comme au sens figuré (le cercle concentrique peut-il être
brisé par un itinéraire protocolaire et répétitif).
Il est aussi question d'Imamura et de l'humanisme nihiliste qu'il aura
proposé à travers la perversité de son cinéma.
La citation prend racine dans La Balade de Narayama (1983)
qui stipulait que l'amour faisait survivre les liens à travers
l'épopée d'un homme devant porter cette dame « ayant
atteint l'âge » en haut d'une montage pour y finir sa vie
par la famine. C'est ainsi que personne dans le village ne voyait autrui
mourir de vieillesse ou de maladie; une stratégie reprise par
les scientifiques de The Clone Returns Home offrant tout bonnement
la police d'assurance du clonage. Kohei doit porter ce clone, ce vieil
ami qui l'empêche de vivre jusqu'au bout d'une montagne où
l'objectif n'existe plus, seulement l'existence maintenant inexistante
d'un voyage initiatique qui, s'il ressemble thématiquement à
Stalker, ne peut servir au clone qui repassera par le même
trajet. « Je vous ai déjà vu... vous me semblez
maintenant moins fou qu'auparavant! » commente un paysan que croise
(toujours pour une deuxième fois) Kohei dans un plan rectiligne
qui ouvre son chemin vers un inconnu toujours plus lointain à
l'inverse des précédentes compositions en paysages où
les obliques, les détours et les serpentins achevaient à
petit feu la balade du futur de Narayama. Contenant certains des plans
les plus emblématiques des réalisateurs auquel il essai
de se mesurer, le flair visuel de Nakajima est audacieux dans la retenu
qu'il maintient et dans la sobriété qu'il démontre.
Pleurs en sourdine, disparitions en hors-champs, l'émotion vive
hante uniquement l'écho (donc le double) d'un film construit
tout en brouillard et qui ne concède aux fantômes qu'une
porte d'entrée via le masque creux et ténébreux
de l'astronaute. C'est une clé de voute pour libérer les
couleurs et les hurlements dans un monde sinon désaturé
par trou noir maussade contenu dans l'esprit inexistant du défunt
frère. Le clone se l'était imaginé, probablement
tout comme nous, pour croire à l'existence de l'âme au-delà
de la mort. Désenchanté, le néant apparaît
maintenant beaucoup plus terrifiant et le scaphandre, le fétiche
d'un nihilisme accablant et en conséquence impossible à
renier.
Version française : -
Version originale :
Kurôn wa kokyô wo mezasu
Scénario :
Kanji Nakajima
Distribution :
Mitsuhiro Oikawa, Eri Ishida, Hiromi Nagasaku,
Kyusaku Shimada
Durée :
110 minutes
Origine :
Japon
Publiée le :
7 Août 2009