THE CLAIM (2000)
Michael Winterbottom
Par Jean-François Vandeuren
Un western signé Michael Winterbottom et Frank Cottrell Boyce?
Voilà un projet qui ne pouvait que susciter autant d’interrogations
que d’espérances. Mais une chose était néanmoins
certaine lorsque The Claim fit son apparition sur les écrans
en l’an 2000 : nous n’aurions pas affaire à un effort
qui passerait inaperçu comme la majorité des films du
genre produits ces dernières années. Il était donc
intriguant de voir où cette troisième collaboration des
plus surprenantes entre les deux cinéastes britanniques allait
bien pouvoir nous emmener. Il ne faut évidemment pas s’attendre
ici à être témoin du traditionnel affrontement entre
justiciers et hors-la-loi impitoyables devant prendre fin lors d’un
duel dans les rues désertes d’une petite ville de l’Ouest
alors que le soleil serait à son plus haut niveau. Le duo s’intéressa
plutôt dans ce cas-ci à l’évolution de l’Amérique
dans sa quête continuelle d’idéaux et de richesses,
mais surtout à l’opportunisme souvent désolant pouvant
en découler. Comme quoi le processus de sédentarisation
de l’être humain est sensiblement le même depuis la
nuit des temps, et la ruée vers l’Ouest ne fit pas exception
à la règle.
Alors qu’il sillonnait avec de moins en moins de ressources les
contrés enneigées du nord de la Californie à la
recherche d’or, Daniel Dillon troqua sa femme et sa fille à
un homme qui lui légua en échange les droits d’exploitation
d’une mine d’or et son gîte qu’il baptisa Kingdom
Come. Vingt ans plus tard, alors que la vieille cabane est devenue un
village on ne peut plus prospère, Dillon devra à nouveau
faire face à son passé lorsque les deux femmes referont
soudainement surface. Il tentera au même moment d’assurer
son avenir et celui de la région en tombant dans les bonnes grâces
des représentants d’une compagnie ferroviaire pour s’assurer
le passage à proximité de la communauté d’une
ligne de chemin de fer devant éventuellement unir les deux côtes
américaines.
The Claim prend ainsi la forme d’un western s’amusant
à ignorer la plupart des codes régissant le genre depuis
sa naissance. Winterbottom présente d’ailleurs clairement
ses intentions dès les premiers instants du film. L’effort
substitue d’emblée les paysages désertiques propre
à ce genre de récit par le climat particulièrement
froid des régions montagneuses de l’Ouest américain.
Des règles plutôt inhabituelles sont ensuite dictées
dès notre arrivée à Kingdom Come. Les armes à
feu sont interdites à l’intérieur des limites de
la ville. La justice ne fait pas non plus confiance à la mort
pour punir les criminels. Ces derniers doivent plutôt reconnaître
leurs torts et subir un châtiment exemplaire sur la place publique.
Le scénario de Frank Cottrell Boyce est évidemment propice
à la formation de divers parallèles avec des problématiques
plus actuelles. Ce dernier s’en donne d’ailleurs à
cœur joie, sans être trop virulent, dans sa remise en question
des fondements du rêve américain, révélant
d’une façon superbement nuancée le caractère
parfois moyenâgeux de l’organisation sociale de Kingdom
Come et des États-Unis dans son ensemble tout en invitant sa
population à une sérieuse remise en question.
Par contre, c’est l’histoire qui prime sur le discours dans
The Claim, et non l’inverse. Il faut dire que l’effort
emprunte beaucoup plus les traits d’un drame que ceux d’un
western à proprement parler. Une idée qui permet du coup
à Winterbottom de garder un certain contrôle sur la progression
dramatique du film et de se faire discret sans que l’efficacité
du récit en soit diminuée. L'état psychologique
des différents conflits et personnages surprend d’ailleurs
de par sa portée et sa profondeur, en particulier dans la relation
entre Dillon, sa femme et sa fille. La distinction entre le bien et
le mal n’est jamais non plus clairement définie et Boyce
ne tente en aucun cas de nous faire la morale. Chose qui est plutôt
rare dans ce genre de film d’ordinaire.
Le tout prend forme sous une des mises en scènes les plus maniérées
de Michael Winterbottom à ce jour. Le réalisateur propose
ici une facture moins désinvolte et plus classique qu’il
mène à bon port. Le tout épouse la savante direction
photo d’Alwin H. Kuchler miroitant constamment entre les teintes
de bleu, de blanc et de noir des paysages hivernaux du film. Le cinéaste
britannique misa beaucoup également (parfois même trop)
sur la richesse des lieux de tournage qu’il met en valeur à
outrance. Un abus qui n’enlève toutefois rien à
la beauté esthétique souvent ahurissante de l’effort.
Au même titre que leurs essais à la science-fiction qui
aboutirent au sublime Code 46, The Claim s’inscrit
dans la filmographie de Michael Winterbottom et Frank Cottrell Boyce
comme une expérience cinématographique dont les risques
furent, pour la plupart, parfaitement calculés. On ne parle évidemment
pas ici d’une réinvention du genre aussi éblouissante
que celle mise en scène par le Dead Man de Jim Jarmusch.
Mais même si le présent effort manque à l’occasion
de rigueur sur le plan de la technique et du rythme, The Claim
se veut malgré tout une autre belle réussite pour le duo
qui nous offre au final un des westerns les plus inventifs et captivants
des dernières années. Le cinéaste britannique n’abandonna
pas non plus ses problématiques sociales et culturelles habituelles
plus contemporaines, qu’il introduit avec aisance à l’intérieur
de cette nouvelle temporalité qui se prête étonnamment
bien au jeu. Cette quête de rédemption s’alimentant
du lourd passé des États-Unis est rondement complétée
par un éventail de personnages élaborés avec précision
et retenue, et campés par une distribution particulièrement
convaincante.
Version française : Le Maître de Kingdom Come
Scénario : Frank Cottrell Boyce, Thomas Hardy (roman)
Distribution : Peter Mullan, Milla Jovovich, Wes Bentley, Sarah
Polley
Durée : 120 minutes
Origine : Royaume-Uni, France, Canada
Publiée le : 21 Mai 2006
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