CHRISTMAS ON MARS (2008)
Bradley Beesley
Wayne Coyne
George Salisbury
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Prisonnier de ses classiques consacrés et de ses obligations
familiales, le cinéma des fêtes n'arrive que rarement à
se réinventer. Entre les multiples relectures du Conte de
Noël de Charles Dickens et les comédies hollywoodiennes
capitalisant sur les obsessions saisonnières, il reste peu de
place pour les excentricités dans la veine de ce Christmas
on Mars imaginé par le chanteur de la formation américaine
The Flaming Lips. Reconnu pour sa pop psychédélique léchée
de même que pour l'exubérance de ses concerts, le groupe
doit cependant une vaste part de son succès aux considérations
existentielles lourdes qu'abordent avec une fantaisie éclatée
les textes de Wayne Coyne. Ce mélange de gravité et de
naïveté caractérisant l'univers lyrique des Lips
sert de fondement au ton pour le moins particulier de ce long-métrage,
sorte de fable mélancolique racontant le premier Noël du
genre humain sur la planète rouge. Affublé de sous-titres
en russe non-connexes aux dialogues anglais, arborant fièrement
une mise en scène contemplative fixée directement sur
une direction artistique glorieusement broche-à-foin, Christmas
on Mars se veut en quelque sorte le croisement impur entre une
série B des années cinquante captée au hasard de
la télédiffusion par une nuit d'insomnie et la science-fiction
philosophe d'Andreï Tarkovski. Qu'il ne soit jamais à la
hauteur de ses ambitions cinématographiques n'a somme toute rien
de très étonnant; le seul objectif que se donne vraiment
le bidule intersidéral façonné à la bonne
franquette par Coyne et ses compagnons est de livrer en cette saison
de réjouissance capitaliste un message d'espoir nouveau genre.
Or, à cet égard, force est d'admettre que ce conte bizarre,
tour à tour sombre et radieux, accomplit maladroitement ce qu'aucun
film avant lui n'avait osé imaginer. En cette période
de bons sentiments préfabriqués, le plus beau compliment
que l'on puisse faire à Christmas on Mars est qu'il
vient réellement du coeur - et d'un coeur qui, justement, ne
peut s'empêcher d'être assaillit par des émotions
contradictoires en contemplant « les grandes questions »
qu'évoquent les grands sentiments. Espoir, amour, avenir, communauté:
des principes et des idées nobles fréquemment évoqués
avec des intentions nébuleuses, comme pour apaiser dans un moment
d'harmonie forcée les âmes révoltées, qui
sont ici placés dans un contexte moral moins unidimensionnel,
à défaut d'être parfaitement défini. Lorsque
se suicide le Père Noël qu'il avait sélectionné
pour répandre un peu de l'esprit des fêtes dans les coeurs
d'un équipage cynique et désabusé, le cosmonaute
léthargique Syrtis (Steven Drozd) doit lui trouver un remplaçant
avant l'heure fatidique. Mais la base spatiale dans laquelle il déambule
se meurt lentement, les machines de support vital cédant l'une
après l'autre, et ses collègues sont par conséquent
plus préoccupés par leur survie à court terme que
par les grands idéaux qui le tourmentent. C'est finalement l'arrivée
d'un extra-terrestre muet devenu apprenti Père Noël qui
sauvera l'expédition de la fin tragique à laquelle elle
semblait condamnée et qui permettra par le fait même que
naisse sain et sauf le bébé de l'espace… oui, bon,
vous savez la drogue…
Le film dit « amateur » comporte son lot de codes et de
conventions le plaçant en exergue du cinéma traditionnel,
comme s'il s'agissait d'un genre en soi ou plus encore d'un univers
parallèle transcendant les jugements critiques associés
au régime des images professionnelles. En quelque sorte, Christmas
on Mars est le blockbuster du genre amateur: un film de garage
tourné dans un sacré gros garage, où la folie créatrice
plutôt déraisonnable de Wayne Coyne donne vie à
l'aide de fourneaux usagés et de bols de plastiques à
une gigantesque station spatiale où se multiplient les métaphores
sexuelles et métaphysiques en tous genres. Mais, au fond, c'est
la réalité humaine derrière une fiction peu maîtrisée
qui confère à certaines scènes une puissance que
les dialogues redondants et la réalisation approximative n'arrivent
jamais à communiquer correctement. Une lecture croisée
avec le fascinant documentaire The Fearless Freaks de Bradley
Beesley (agissant ici à titre de co-réalisateur) permet
d'associer la figure frêle et dérangée du Père
Noël suicidaire Ed Fifteen à Kenny Coyne - frère
du chanteur au parcours existentiel perturbé. De décoder
dans les tics de Steven Drozd les marques d'une dépendance de
longue date à l'héroïne qu'il abordait avec une franchise
déconcertante en entrevue avec Beesley. Christmas on Mars
est un film familial situé dans l'espace, parce que la famille
étendue des Flaming Lips est une entité unique marquée
au fer rouge de l'excès - rassemblée autour d'une figure
illuminée ayant décidé qu'ensemble ils allaient
fêter Noël sur Mars avec les moyens du bord.
Wayne Coyne, expliquant la genèse de ce scénario saugrenu,
raconte que sa mère lui avait décrit celui d'un film qu'elle
avait apparemment vu un soir à la télévision; un
film farfelu qu'elle avait sans doute imaginé en recollant les
pièces de deux films entre lesquels elle avait probablement somnolé.
Christmas on Mars est un peu un rêve transfigurant la
banalité des matériaux avec lesquels il prend forme, une
sombre ballade cosmique où « l'homme n'est pas fait pour
vivre dans l'espace » mais y arrive en triomphant sur ses démons.
L'errance de Drozd dans les corridors sombres de cette station spatiale,
contrepoint riche de sens aux célébrations simplistes
de « l'esprit des fêtes » qui envahissent nos écrans
annuellement, aurait certes, gagnée à être exécutée
autrement. Un vrai réalisateur aurait structuré les temps
morts, dégagé les enjeux narratifs et mis en valeur les
préoccupations philosophiques de l'ensemble. Un vrai réalisateur
aurait fait de Christmas on Mars un « film », mais
nous n'avons en bout de ligne que cet objet filmé non identifié
à nous mettre sous la dent - intrigante anomalie où le
désenchantement n'est pas un obstacle à l'éblouissement,
où la magie de Noël n'est pas une obligation contractuelle…
Le film des Flaming Lips a-t-il l'étoffe d'une oeuvre culte?
Disons pour le moment qu'il en possède certaines des qualités,
de même que plusieurs des défauts, mais qu'il faudra peut-être
que les musiciens de l'Oklahoma organisent quelques projections-événements
avec confettis et costumes pour palier aux failles de l'objet cinématographique
comme tel. En attendant, celui-ci offre du « différent
» - ce qui n'est pas dépourvu de charme.
Version française : -
Scénario :
Wayne Coyne
Distribution :
Steven Drozd, Wayne Coyne, Steve Burns, Fred Armisen
Durée :
83 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
26 Décembre 2009