CHOKE (2008)
Clark Gregg
Par Jean-François Vandeuren
La sortie de Fight Club à l’automne 1999 aura
permis à Chuck Palahniuk d’agrandir considérablement
son lectorat en plus d’atteindre un statut mythique, voire même
culte, parmi ses contemporains. L’adaptation d’un roman
pour le cinéma se veut évidemment une entreprise laborieuse
dont les résultats sont toujours loin d’être garantis
; le contenu d’un livre étant une matière extrêmement
malléable dont un scénariste peut tirer à peu près
n’importe quoi en se permettant de prendre un certain nombre de
libertés par rapport à l’histoire, quitte à
en modifier complètement le contexte ou la temporalité.
Le cinéaste doit toutefois être en mesure de respecter
le ton et la vision de l’écrivain et de communiquer les
thèmes abordés par ce dernier tout en tenant compte des
différents mécanismes liés à son propre
médium d’expression. La retranscription cinématographique
des écrits de Chuck Palahniuk représente en ce sens un
certain défi étant donné la nature éclatée
de ses mises en situation et la façon peu orthodoxe dont il laisse
souvent transparaître ses intrigues à travers les réflexions
et les anecdotes de ses protagonistes, et non l’inverse. Celui
qui allait s’embarquer dans une telle aventure devait donc s’assurer
de posséder le savoir-faire et la créativité nécessaire
pour pouvoir mener un tel projet à terme sans se résoudre
à falsifier la démarche visuelle à la fois réfléchie
et hautement stylisée mise sur pied jadis par un certain David
Fincher. Une tâche à laquelle aura malheureusement failli
le scénariste et réalisateur Clark Gregg, qui tenta pour
sa part de rester aussi fidèle que possible aux événements
du récit de Palahniuk, mais en ne cherchant jamais à imposer
une quelconque forme de langage filmique ou narratif à l’écran.
Il faut dire que Choke était aussi loin d’être
le roman le plus facile à adapter de la bibliographie de l’auteur
américain vus son style d’écriture particulièrement
cru et son ton à la fois sombre et satirique valsant continuellement
entre l’absurde et l’humour noir. Dans le paysage actuel
du cinéma américain, mettre en image une telle prémisse
en respectant à la lettre sa facture artistique on ne peut plus
explicite signifierait se heurter à un puissant système
de censure qui ne se gêne pas habituellement pour ne faire qu’une
bouchée de ce genre d’initiative. Pour limiter les dégâts,
Gregg dut faire plusieurs concessions, et ce, autant au niveau de la
forme que du fond, ce qui eut pour effet d’affaiblir considérablement
l’impact du récit sur le plan dramatique en plus de nuire
à l’approfondissement de certaines idées. En soi,
Choke suit le parcours de Victor Mancini (Sam Rockwell), un
dépendant sexuel oeuvrant pour un site touristique ayant pour
mandat de replonger l’Amérique dans le quotidien de ses
premiers colons. Entre son boulot et ses escapades d’une nature
souvent fort douteuse, Victor rend visite à sa mère Ida
(Anjelica Huston) à l’hôpital où elle est
internée. Pour régler les frais médicaux de cette
dernière, Victor imagina un stratagème pour le moins original,
soit s’étouffer au milieu de différents restaurants
afin d’être secouru par de bons samaritains qui se sentiraient
dès lors obligés de veiller sur lui jusqu’à
la fin de ses jours. Voyant son état se détériorer
d’heure en heure, Ida confiera son journal intime à son
fils afin qu’il puisse faire la lumière sur ses origines.
À l’aide d’une infirmière dont il tombera
rapidement amoureux (Kelly Macdonald), Victor découvrira à
sa grande stupéfaction qu’il serait en fait le descendant
direct de… Jésus Christ?
Une telle prémisse peut évidemment paraître quelque
peu ridicule au premier abord. Mais c’est pourtant lorsqu’il
fait osciller son récit entre sa formidable intensité
lyrique et la bêtise pure et dure que Chuck Palahniuk semble le
plus à son aise derrière sa machine à écrire.
Il n’est d’ailleurs pas rare de voir l’écrivain
amener volontairement une intrigue au bord du gouffre pour n’en
reprendre le contrôle qu’au tout dernier instant. Le tout
dans le but de soutenir la logique tordue - mais néanmoins implacable
- de celle-ci et de lui attribuer une valeur symbolique qui n’aurait
pu être plus significative. Le problème dans le cas présent
est que le cinéaste adaptateur ne parvient tout simplement pas
à insuffler le même caractère incisif à sa
vision ou à rendre son scénario moindrement plausible
à l’intérieur de son univers filmique. Le Choke
de Clark Gregg a ainsi tout d’une simple peinture à numéro
; une oeuvre apathique orchestrée sans réelle pulsion
créatrice et sans le moindre goût du risque. Alternant
maladroitement entre le drame et la comédie en n’assumant
jamais complètement l’excentricité de sa source
d’inspiration, le réalisateur américain signe une
mise en scène terne et paresseuse ne volant guère plus
haut que celle d’un modeste téléfilm. Mais au-delà
de ses nombreuses faiblesses sur le plan esthétique, l’échec
de Choke réside avant tout dans le fait qu’il
s’agit d’une oeuvre incomplète qui, par conséquent,
ne parvient jamais à révéler entièrement
l’essence et la profondeur que cette histoire abracadabrante possédait
originalement sur papier. Gregg ne se contente ainsi que d’établir
les bases de son film à l’intérieur d’un cadre
particulièrement étroit, y empilant ses différentes
séquences de manière disparate sans que ne se forme la
moindre parcelle de cohésion narrative.
La plus grave erreur du cinéaste américain aura été
en bout de ligne de vouloir couvrir chacune des thématiques abordées
par Palahniuk, mais sans nécessairement avoir assez de suite
dans les idées pour intégrer les plus problématiques
à la dynamique de son film d’une manière concise,
et surtout cohérente. Gregg concentra ainsi la majeure partie
de ses énergies sur les rapports contradictoires unissant Ida
et Victor et sur le traumatisme infantile qui en découla. Un
malaise se traduisant désormais par un profond désir de
liberté que ce dernier cherchera à manifester à
travers une série d’actes sexuels futiles et excessifs
qui lui permettront d’oublier momentanément un amour qu’il
voudrait pouvoir exprimer, mais dont il doute toujours de la compatibilité
avec une réalité dans laquelle les fantasmes perdent souvent
tout leur sens une fois réalisés. L’auteur allait
évidemment beaucoup plus loin en finissant par faire de Victor
une sorte de figure messianique soulageant les uns de leurs plus vives
blessures psychologiques et libérant les autres du marasme de
leur quotidien. De son côté, Gregg développa cette
idée si maladroitement qu’il dut dépouiller sa finale
d’une savante réflexion sur la religion et notre cheminement
en tant qu’individu et remplacer celle-ci par une séquence
beaucoup plus personnelle et optimiste, mais aussi d’une naïveté
déconcertante. L’Américain signe en somme une adaptation
qui ne tient tout simplement pas ses promesses et dont la seule valeur
tangible demeure la prestation enthousiaste d’un Sam Rockwell
en pleine possession de ses moyens. Autrement, Choke se veut
un film laborieux qui n’est jamais en mesure de mettre en image
l’exubérance et la perspicacité des écrits
de Chuck Palahniuk. Un défi qu’avaient pourtant relevé
haut la main David Fincher et Jim Uhls il y a déjà neuf
ans de cela.
Version française : -
Scénario :
Clark Gregg, Chuck Palahniuk (roman)
Distribution :
Sam Rockwell, Anjelica Huston, Kelly Macdonald,
Brad William Henke
Durée :
89 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
3 Décembre 2008