CHILDREN OF MEN (2006)
Alfonso Cuarón
Par Jean-François Vandeuren
Les grandes productions de science-fiction prévoyant un futur
peu clément pour la race humaine ayant vu le jour au cours des
dernières décennies s’alimentent généralement
de trois éléments : la crainte d’une escalade militaire
et nucléaire, un désastre écologique, ou une dégénérescence
des systèmes sociaux se résultant en une vague de crimes
sans précédent. Une nouvelle tangente de cette prémisse
a toutefois réussi à faire son chemin depuis quelques
années, en particulier au Royaume-Uni. Celle-ci soulève
évidemment des considérations d’ordre politique,
sociale et environnementale très actuelles dont nous continuons
naïvement d’encaisser les coups sur une base quotidienne
sans se douter que nous nous dirigeons dangereusement vers un point
de non-retour. Les cinéastes sensibles à de telles préoccupations
se servirent ainsi du cinéma populaire pour réveiller
les ardeurs d’une population devenue trop passive et la forcer
à prendre conscience des eaux troubles dans lesquelles elle patauge
sans se soucier de ce qu’il l’attend au bout du chemin.
Il est évidemment un peu tôt pour déterminer si
ces initiatives artistiques produiront les effets escomptés à
court et à long terme… Ou s’ils ne seront malheureusement
accueillis que comme de simples divertissements.
Ce sixième long-métrage d’Alfonso Cuarón
débute alors que le monde entier est en deuil. Le plus jeune
être humain sur Terre vient de rendre l’âme. Il était
âgé de 18 ans. Cet avenir pas si lointain dont fait état
Children of Men parle d’une génération
dont les femmes ne peuvent plus avoir d’enfants pour des raisons
encore inexpliquées. La planète bleue est plongée
dans le chaos. Afin d’éviter toute escalade de violence,
le gouvernement britannique décida de déporter et d’emprisonner
les immigrants présents sur son territoire. Comme le reste de
ses compatriotes, Theo (Clive Owen) survit comme il peut à cette
triste réalité, mais le désespoir prend de plus
en plus le dessus. Ce dernier sera un jour contacté par son ex-femme,
Julian (Julianne Moore), qui lui demandera d’escorter une immigrante
jusqu’à un point de rendez-vous bien particulier. La jeune
femme en question est la première en près de 20 ans à
être tombée enceinte et l’organisation clandestine
dirigée par Julian semble avoir pris contact avec une autre connue
sous le pseudonyme de « The Human Project. » Selon la rumeur,
celle-ci aurait réuni les plus grands scientifiques du monde
dans le but de trouver une solution à ce problème qui,
jusque-là, semblait sans issue.
Si le splendide Code 46 de Michael Winterbottom dressait un
portrait effrayant d’une civilisation qui a tout simplement appris
à vivre avec une nouvelle réalité mise sens dessus
dessous par les conséquences dramatiques des réchauffements
climatiques, l’adaptation du roman de P.D. James ne donne pas
un tel sursis à la race humaine, laquelle doit désormais
composer avec sa propre extinction. Children of Men ne s’intéresse
par contre pas aux causes d’une telle catastrophe plus qu’à
la façon dont l’humanité poursuivit son chemin suite
à la prise de conscience de cette dernière. Alfonso Cuarón
et ses quatre co-scénaristes ne cherchèrent pas non plus
à fournir de réponses claires quant à la cause
réelle de cette infertilité, et ce n’est pas sans
raison, d’ailleurs. Si un tel drame venait à se produire,
la solution ne nous pendrait certainement pas au bout du nez du jour
au lendemain. Children of Men plonge ainsi l’humanité
dans l’incertitude totale face à son propre avenir. Mais
comme dans Code 46, l’homme ne broncha pas et continua
de lutter pour préserver son mode de vie au détriment
des autres et prouva une fois de plus sa propre sottise en trouvant
une façon grotesque de commercialiser l’euthanasie.
Visuellement, Alfonso Cuarón n’aurait pu proposer réalisation
plus pertinente et efficace. En soi, le cinéaste mexicain signe
la mise en scène que le britannique Danny Boyle aurait dû
être en mesure d’édifier pour son tout de même
fort consistant 28 Days Later. La particularité dans
ce cas-ci est que le récit utilise comme fil conducteur que le
parcours de Theo, qu’un Clive Owen en très grande forme
personnifie d’une manière à la fois froide et désarmante,
faisant de son personnage un héros qui n’en possède
aucunement les attributs et qui désire avant tout préserver
la mince lueur d’espoir qui lui fut confiée plutôt
que de prendre part à des combats dont les fondements sont pour
la plupart d’une bêtise absolue. Afin d’enrober cette
prémisse d’un sentiment d’immersion impitoyable et
d’une force dramatique inouïe, Cuarón utilisa comme
arme de choix la bonne vieille caméra à l’épaule
avec une lucidité et une précision tout bonnement sidérantes.
Le réalisateur va toutefois beaucoup plus loin que ce simple
soucis de réalisme et finit par accoucher d’une démarche
artistique d’une grande richesse, laquelle accumule les plans
séquences d’une virtuosité technique incomparable,
surtout si nous considérons le chaos et les espaces souvent très
restreints avec lesquels le cinéaste dut composer. Le tout s’imprègne
parfaitement du sentiment de morosité et de désespoir
se dégageant d’un scénario enseveli sous la saleté
et la prédominance des teintes de gris de l’extraordinaire
direction photo de l’excellent Emmanuel Lubezki (Sleepy Hollow,
Y tu mamá también).
Après avoir libéré la franchise Harry Potter
de sa torpeur avec le superbe Prisoner of Azkaban, Alfonso
Cuarón récidive avec un film dont le discours d’une
importance capitale pour les années à venir se forme davantage
autour d’un cheminement narratif et visuel accompli qu’une
avalanche de mots dont le débit aurait sombré beaucoup
plus rapidement dans l’oubli. Cuarón signe ainsi un effort
bouleversant et extrêmement démonstratif, ralliant à
sa cause de nombreux symboles qui ne font qu’ajouter à
la pertinence de l’entreprise, dont certains tirés tout
droit de l’univers de Pink Floyd. Il s’est rarement fait
film dénonçant l’incertitude par rapport à
notre avenir sur cette planète ainsi que la barbarie et l’égoïsme
de l’être humain plus direct et percutant. Mais malgré
les horreurs dont l'opus de Cuarón fait état, ce dernier
refuse catégoriquement au final de jeter la serviette. Comme
quoi tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.
Version française : Les Fils de l'homme
Scénario : Alfonso Cuarón, Timothy J. Sexton, David
Arata, Mark Fergus, Hawk Ostby
Distribution : Clive Owen, Julianne Moore, Chiwetel Ejiofor, Michael
Caine
Durée : 109 minutes
Origine : Royaume-Uni, États-Unis
Publiée le : 14 Janvier 2007
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