CHEZ SCHWARTZ (2006)
Gary Beitel
Par Alexandre Fontaine Rousseau
La viande n'est pas la plus photogénique des matières.
Sa préparation n'est pas nécessairement le plus appétissant
des spectacles. Centrer tout un film sur la chose tient du pari risqué.
Heureusement, Chez Schwartz s'intéresse aux humains
gravitant autour de ce temple du smoked meat. Véritable institution
montréalaise depuis 1928, la charcuterie hébraïque
de la rue Saint-Laurent propose aux carnivores de la métropole
un plat qui, bien qu'en apparence simple, serait selon la légende
impossible à imiter. Comme tous les commerces qui perdurent,
c'est une affaire de passion; le film de Gary Beitel célèbre
cet établissement mythique ainsi que les gens qui, au fil des
ans, ont littéralement consacré leur vie à l'entretien
de son rythme frénétique. Entre deux tranches de viande,
le film nous partage une tranche de vie aux épices savamment
agencées. Végétariens s'abstenir.
Malgré le flot incessant de clients envahissant à chaque
jour le petit restaurant, Beitel a réussit à s'installer
durant près d'un an dans cette jungle bourdonnante pour en saisir
l'essence. Au-delà du repas, c'est cet esprit de tradition que
recherchent les clients de l'établissement; rituel ancré
à même la culture montréalaise, la visite chez Schwartz
tient du retour aux sources. La petite charcuterie tout droit sortie
d'une autre époque semble à l'abri du changement et du
temps qui passe; ses murs sont chargés d'une histoire que les
employés s'efforcent de perpétuer. Ils sont unis par cette
fierté commune de participer à un projet de longue haleine
qui les dépasse en tant que simple individu. L'actuel propriétaire
se qualifie non pas d'entrepreneur mais bien de conservateur dudit lieu.
Bref, les valeurs de Chez Schwartz sont éminemment traditionnelles:
le travail, la famille, le succès, le patrimoine, la charité.
Le menu que propose Beitel n'est en rien actuel, à l'image de
ce plat bien gras que les diététiciens modernes qualifieraient
sans doute d'aberration archaïque. Son film s'appuie sur une démarche
naïve mais chaleureuse, utilisant les hommes comme moteurs d'une
narration somme toute fort efficace. Sa caméra enthousiaste survole
la faune de la charcuterie sans retenir ses effusions d'affections;
alors qu'on se bouscule et se taquine à l'intérieur, quelques
quêteurs habitués se relèvent devant le restaurant
dont les clients ont la réputation d'être généreux.
Parmi ceux-ci, on dénote le célèbre animateur de
l'ONF Ryan Larkin aujourd'hui obligé de mendier sa subsistance
aux passants.
La compassion du film de Beitel est toute à son honneur; le regard
posé sur les clochards du Schwartz est empreint de respect et
d'un altruisme dont l'humanise sert en quelque sorte de contrepoids
à la glorification de l'institution que propose le film dans
l'ensemble. Ici, les fiers employés se dévouent corps
et âme au travail, une authentique fusion amoureuse unissant l'homme
à son métier. Certaines séquences croquées
sur le vif ont un arrière-goût d'artificiel; si l'aisance
des employés face à la caméra est indéniable,
certaines scènes axées sur les clients n'ont pas la même
crédibilité.
Bien que son sujet le rattache à une certaine vague de documentaires
québécois récents, Chez Schwartz ne transforme
pas l'objet de son attention en allégorie d'une quelconque réalité
sociale - l'embourgeoisement du Plateau dans Roger Toupin, épicier
variété de Benoît Pilon ou le statut de l'homme
chez Demers et ses Barbiers. Beitel se contente de nous conter
l'histoire d'un lieu et d'en asseoir la légende. L'expérience
est à caractère nostalgique, un peu comme l'est une visite
dans se bastion de la gastronomie populaire d'une autre époque.
Les sandwich ne coûtent plus vingt-cinq sous mais l'esprit est
le même; chronique d'une continuité, Chez Schwartz
donne faim tout en immortalisant un commerce incontournable de la main
de Montréal.
Version française : -
Scénario :
Gary Beitel
Distribution : -
Durée :
83 minutes
Origine :
Canada
Publiée le :
26 Octobre 2006